C'est un bien joli roman épistolaire qu'il m'a été donné de lire grâce à l'article de Florinette et à liliba qui a eu la bonne idée d'en faire un livre voyageur...
J'ai donc pu faire la connaissance d'une femme du XVIIIe siècle, que je ne connaissais pas et qui a eu une vie intéressante et riche à plus d'un titre. Une postface de Claude Schopp nous la fait découvrir, vive, entière et engagée dans son temps avec intelligence et passion.
Cette femme fut élevée suivant les principes de Rousseau, par des parents attentifs et lettrés, dont le père, à la fin de sa vie, écrivit une "encyclopédie morale".Elle débute dans une carrière littéraire à succès avec une tragédie lyrique intitulée "Sapho".
Sa renommée lui permettra d'être acceptée et appréciée par un milieu littéraire très masculin, au sein duquel elle ne cessera de défendre la cause des femmes, revendiquant pour elles un même accès à la culture et à l'enseignement, ainsi qu'à l'expression culturelle et politique. Elle défend leurs droits et lutte contre des lois iniques comme l'article 324 du code civil spécifiant "que le meurtre commis par l'époux sur l'épouse, ainsi que sur son complice, à l'instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable".
Elle deviendra pour ses contemporains soit un "bas bleu" qui tient salon, soit "la Muse de la raison" ou "Le Boileau des femmes"...
Ce texte m'a donné envie de connaître mieux cette femme d'exception un peu tombée aux oubliettes qui a eu la chance d'écrire à la fin de sa vie menée avec courage, intelligence et résistance face à l'adversité :
"Et l'âge vient, et j'aperçois
Déjà la fin de ma carrière :
Je ne le verrai pas le triomphe des droits
Il n'enchantera point ma course passagère;
Mais je saurai qu'un jour il brillera
Et je pourrai me dire à mon heure dernière :
L'œuvre de la justice enfin s'accomplira.
Ah! que pourrai-je alors désirer sur la terre !
Que puis-je y désirer encore !
Née en ces temps où rien n'arrêtait notre essor,
Je puis, levant le front, regarder en arrière.
Le beau rêve, l'espoir de la célébrité,
Ont occupé, rempli, charmé ma vie entière,
Toujours j'ai dédaigné l'éclat et la grandeur ;
Toujours j'ai de mon sexe embrassé la défense..."
Mais revenons en au texte que propose le livre, une production atypique et singulière dans l'œuvre du personnage...
C'est un petit roman respectant unité de lieu et de temps et qui présente avec constance et détermination tous les états par lesquels une femme de son siècle passe, alors qu'elle se laisse submerger par ses émotions.
Femme très amoureuse, elle voit son amant partir aux bras d'une autre à la sortie de l'opéra. Sans signe de lui, ne recevant d'explications d'aucune sorte, la voilà en prise aux pires douleurs de la jalousie.
Elle écrit à son amant absent pas moins de 46 lettres décrivant par le menu ce qui se passe dans sa tête et qui lui traverse le corps.
S'imaginant les pires scénarios possibles, la voilà au bord du suicide...
Ce "petit bijou" très agréable à lire est un portrait saisissant du sentiment amoureux et de ses affres, mais n'oublions pas que c'est aussi une leçon...
Constance de Salm a tenu à le rappeler dans une introduction à ses œuvres complètes, inquiète que le grand succès populaire de son texte n'en ai fait ignorer le véritable dessin :
"En développant dans chaque lettre un sentiment différent, en faisant passer tour à tour mon héroïne de l'excès de la jalousie à celui de la confiance, du désespoir à la tranquillité, du délire au raisonnement, de l'oubli de toutes les convenances à l'indignation de l'honneur, mon intention n'a pas été seulement de faire un tableau complet de cette multitude de vives sensations, qui sont, en quelque sorte, le secret des femmes, mais aussi de montrer jusqu'à quel point elles peuvent les égarer, et leur donner par là une utile et grande leçon..."
"La jalousie est un mal si commun chez les femmes, elle influe tellement sur leur bonheur, elle les compromet si souvent et de tant de manières, qu'il est impossible qu'une suite de développements qui leur montrent à chaque mot jusqu'à quel point cette passion peut les égarer ne leur offre pas une utile et grande leçon. J'ai eu même un instant l'idée de rendre cette leçon plus forte, en faisant résulter, des imprudences de mon héroïne, des malheurs plus graves que ceux dont sa vive imagination se tourmente; mais j'ai craint d'altérer par là le caractère simple et idéal de cet ouvrage; il m'a paru que tout devait s'y passer, pour ainsi dire, dans l'âme, et qu'une morale trop sévère, ou plutôt trop positive, ne pouvait s'accorder avec le genre de sensations que j'avais voulu peindre."
"L'amour !... Qu'est-ce que l'amour ? ... Un caprice, une fantaisie, une surprise du coeur, peut-être des sens; un charme que se répand sur les yeux, qui les fascine, qui s'attache aux traits, aux formes, aux vêtements même d'un être que le hasard seul nous fait rencontrer. Ne le rencontrons-nous pas ? rien ne nous en avertit, ne nous trouble...nous continuons de vivre, d'exister, de chercher des plaisirs, d'en trouver, de poursuivre notre carrière comme si rien ne nous manquait!... L'amour n'est donc pas une condition inévitable de la vie, il n'en est qu'une circonstance, un désordre, une époque... que dis-je ? un malheur ! une crise.. une crise terrible.. elle passe et voilà tout. "
Lire le texte sur wikisource,
ou sur la Bibliothèque électronique du Québec, on y trouve, en prime et en guise de préface les artcles de Josiane Savigneau pour le Monde, D'Astrid de Larminat pour Libération et de Delphine Peras pour l'Express
Charles Lebrun en parle dans l'Humanité,
Billet chic et titre choc de Pierre Assouline, dans lequel il nous propose un portrait de Constance Piplet, future Constance de Salm-Dyck par Jean-Baptiste François Desoria, Art Institute of ChicagoPraline a aimé, laure reste plus mitigée, c'est un petit joyaux incontounable pour Anna Blume, lillounette a adoré et nous propose une comparaison intéressante de trois couvertures de livres parus ces derniers temps et proposant des nuques féminines... Clarabel parle de virtuosité admirable et renvoie à la lecture de "Laissez-moi" de Marcelle Sauvageot. Lili galipette est séduite, Aelys écrit aussi sur ce "petit bijou".