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8 décembre, mon amour

Publié le 04 décembre 2008 par Mgallot

Ceux qui sont assez ignorants pour croire encore que Paris est la ville Lumière ne pourront pas, j’en ai bien peur, comprendre vraiment. Si la date du 8 décembre ne vous dit rien, vous risquez de ne pas goûter tout le sel de mon aventure – ou plutôt tout le PCB, puisque c’est de l’eau du Rhône qu’il va être question. Je suis ingénieur et je tiens à être précis dans le choix des mots.

Je vais quand même essayer de vous décrire le 8 décembre à Lyon, ville des frères Lumière, les bien nommés, à croire

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qu’ils ont fait créer leur nom par un cabinet de conseil. Ils ont inventé le cinéma, mais aussi le marketing. Des installations électriques à tous les coins de rue, chaque centimètre carré de chaque place, de chaque trottoir est éclairé de mauve, de fluo, de vermeil, et trouver un coin obscur relève de la gageure. Avec un tel déploiement d’énergie atomique, je me disais que le courant passerait forcément entre Angélique et moi. Il faut avouer que mon passé de séducteur est plutôt pitoyable, et qu’il me fallait bien compter sur l’aide des éléments extérieurs pour espérer conquérir cette marquise des anges.

Angélique, ma petite femme. Je l’avais rencontrée par meetic, elle se présentait comme aimant « les hommes drôles » et bien que dépressif chronique, la seule qualité que les femmes m’aient jamais reconnue était de les faire rire. Ce que je n’ai pas dit à Angélique, c’est que mon humour tient plus d’un looser façon Woody Allen que d’un beau gosse du genre Antony Cavanna. Angélique, quel homme n’aurait pas succombé à un nom si évocateur de plaisirs et d’innocence ? Je chattais avec elle tous les soirs, muni de mon dictionnaire des jeux de mots et du best-of des meilleures blagues de tous les temps. Un belle truite bien ferrée, Angélique selon les règles de l’art de la drague, je l’imaginais en Em manue lle dans un grand fauteuil d’osier, mais avec un visage virginal. Parfois aussi elle était nue dans des bottes en cuir, montée sur un pur sang à robe noire. Je n’ai jamais eu beaucoup d’imagination, Angélique.

A plusieurs reprises j’ai essayé de lui demander de la rencontrer. A chaque fois elle se déconnectait immédiatement, et revenait en ligne le lendemain en s’excusant de son départ précipité.

Au bout de trois mois, je n’en pouvais plus d’Angélique. Je rêvais Angélique, je mangeais Angélique, je baisais Angélique. J’avais même cessé de chercher du travail. Pour Angélique. L’ANPE m’avait imposé un rendez-vous pour me rappeler à l’ordre, mais je n’y avais pas été. Depuis je ne touchais plus un rond, indemnités sucrées, Angélique.

Il fallait que ça cesse, fixer un ultimatum, exiger la concrétisation. Quand j’avais encore une vie sociale et que je travaillais, j’appelais ça une deadline. Une date symbolique, une date forte, qui marque les esprits, c’est comme ça que j’ai choisi le 8 décembre. Chaque année, le 8 décembre, les Lyonnais remercient la vierge de les avoir sauvés d’une épidémie de peste. Je suis parfaitement athée mais Angélique et vierge, dans mon esprit ça collait parfaitement. Le 8 décembre, j’aurais Angélique ou je me jetterais dans le Rhône.

Inratable, le suicide par noyade, je savais que c’est la mort assurée, surtout en plein hiver. Le larynx se relâche et l’eau glacée pénètre dans les poumons, la température du corps s’abaisse, les alvéoles sont inondées de plasma sanguin et l’oxygène manque. C’est instantané, beaucoup plus rapide à vivre (ou plutôt : à mourir) qu’à écrire. J’ai bien considéré d’autres manières de mourir. M’ouvrir les veines, impossible. Je ne supporte pas la vue du sang. Prendre des médicaments, pas assez sûr, je risquais de finir à l’hôpital et ils croiraient me sauver en me lavant l’estomac. Sauter écrabouillé sous le métro, pas très hygiénique. Et surtout, à tort ou à raison, j’avais pas envie de mourir en intérieur et ne concevais de suicide que dans le grand extérieur. J’avais envie d’une mort spectaculaire, moi qui n’avait pas plus d’envergure qu’un scoubidou dans une cour de recré. On peut le dire, j’avais parfaitement prémédité mon coup. Je ne suis pas ingénieur pour rien, j’ai l’esprit cartésienné par des années d’études scientifiques.

Tous les soirs, Angélique se reconnectait. J’essayais de la faire parler, d’obtenir par la ruse des indices pour la localiser. Elle évoquait un appartement au centre de Lyon. Le déclic m’est venu quand elle a dit qu’elle travaillait comme chargée de clientèle dans une agence immobilière, près de chez elle. J’ai ouvert les pages jaunes et j’ai parcouru méthodiquement toute la presqu’île pour écumer une par une toutes les agences. Je l’ai trouvée quai Saint-Antoine. J’ai fait croire que j’étais à la recherche d’une location. Elle m’a tendu sa carte : Angélique. A partir de là, il m’a suffi d’attendre la fin de la journée et de la suivre jusque chez elle. Elle habitait rue Bellecordière.

Le 8 décembre à 22h j’étais en ligne avec elle. « Ne bouge pas, j’arrive ». Elle s’est déconnectée. 1 heure après le début de mon safari à travers une faune compactée de familles bombardées de photons, je sonnais chez elle, espérant y trouver un coin sombre où m’apaiser. Le judas s’est ouvert, mais pas la porte. J’ai re-sonné à en avoir mal au pouce, c’était une sonnerie bourgeoise et autoritaire d’immeuble ancien. Je me sentais dans la peau d’un trappeur qui débusque un animal traqué. J’ai gueulé à tue-tête « Angélique ! » J’ai cogné à grands coups de poing dans la porte pour la déloger. La main me brûlait. La voisine est sortie des coulisses  comme le gendarme coursant Gnafron: « C’est pas fini ce raffut ! J’appelle la police ! » La porte restait toujours close. J’ai glissé un petit mot dessous, en respirant bruyamment. Pas un mouvement. La lumière de la cage d’escalier s’était éteinte. Je suis resté un long moment sans parvenir à reprendre mon souffle, plongé dans l’obscurité, les yeux rivés sur la raie de lumière qui filtrait sous la porte, à guetter le moindre signe de vie, prédateur à l’affût, l’air s’engouffrait dans mes poumons de plus en plus vite. Rien. La raie de lumière a disparu. J’asphyxiais. Je suis redescendu dans le noir, à l’instinct. Electrisé.

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La centrale nucléaire de Pierrelatte tourne à plein pour illuminer les Lyonnais. Les eaux du Rhône refroidissent le réacteur. Je me suis enflammé : je dois me refroidir dans les eaux du Rhône. Je vous rappelle que je suis ingénieur. Lien de cause à effet. Mon plan était parfait. Tout concordait. J’ai marché jusqu’au pont de la Guillotière, et j’ai levé la tête vers Fourvière où brillait en lettres d’or : MERCI MARIE !

J’ai sauté sans jamais quitter des yeux la basilique.

Vous raconter ce qu’il s’est passé ensuite, impossible. Mon seul souvenir : je suis accroché à une corde et je me hisse tant bien que mal, car mon corps me pèse, mes vêtements sont trempés. Les pompiers m’ont restitué tout le reste du film. L’eau froide m’a fait changer d’avis. J’aurais nagé jusqu’à une péniche-nightclub garée sur les quais. Des étudiantes en médecine m’ont retrouvé pendu sur la rambarde, en hypothermie. Lamentable. J’ai dû me gourer dans mes calculs de probabilité. Sauver sa peau après un tel geste romanesque, je ne suis pas fier de ma mesquinerie.

Une association catho est venue me voir à l’hôpital, elle me propose d’écrire une lettre au pape pour faire reconnaître ce miracle opéré par la vierge. Un ex-voto a été déposé à la basilique de Fourvière, don de deux membres bienfaiteurs. Je ne plaisante pas, c’est vrai. Vous pouvez aller vérifier.


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Par Syl Gu
posté le 04 décembre à 21:06

et t es tjr en vie pas d autre Ts...la vie c est dure

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