L’homme n’est pas libre, mais il est né avec la capacité de le devenir. Qu’est-ce donc que ne pas l’être et comment le devenir ? Le contraire de la liberté n’est pas la soumission en général, mais la soumission irrésistible. Ne pas être libre, c’est ne pas avoir le choix de se soumettre au désir d’un autre, ou à un désir personnel. On appelle le premier cas la contrainte, le second l’impulsion.
Qu’est-ce que ne pas être soumis à ses impulsions ? Nietzsche développe, comme on sait, une philosophie de la force, mais dans laquelle ce terme reçoit des significations diverses, parfois opposées. Car la force caractérise aussi bien l’impulsion que la capacité à lui résister. La nature du désir est d’être une force visant obstinément une fin ; mais l’individu fort, chez Nietzsche, est l’individu non soumis à ce type de forces. Sa force, c’est de n’être pas forcé. La force se reconnaît logiquement à la domination des forces.
Plus radicalement, la force, entendue comme liberté, consiste à ne pas se sentir forcé. Etre libre n’est pas résister mais, comme il le précise, surmonter une résistance. Ce n’est pas ne pas céder, mais de façon plus exigeante, avoir dépassé l’envie de céder. Ce pourquoi la liberté chez Nietzsche est à la fois pensée comme virilité et conquête, indifférence et devenir.
A moins d’imaginer que les désirs ne soient pas premiers, on n’est pas libre, on le devient. La liberté n’est possible qu’au prix d’une lutte. Elle n’est pas donnée, mais acquise. Mais par qui ? N’est-ce pas un désir qui cherche à vaincre d’autres désirs ? Une impulsion qui en domine une autre – et cède à elle-même ?
Il y a deux types d’impulsions, celles qui cèdent sans résistance et celles qui résistent en cédant. Devenir libre c’est substituer les impulsions résistantes aux irrésistibles, puis les dépasser – dépassement provisoire et toujours à reconquérir, du fait de la renaissance des désirs et du déclin naturel de la force…