Le ver dans la pomme, John Cheever - Editions Joëlle Losfeld
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Dominique Mainard
Critique parue dans Le Magazine des Livres, n° 12, octobre/novembre 2008
Il y a donc quelque chose de délicieusement irréprochable dans ces nouvelles, dont la profonde intelligence, qui plus est, pourrait désamorcer le plus ombrageux des critiques. Le seul problème, qui n’est pas secondaire, est que l’on s’y ennuie ferme. C’est un ennui assez sublime, qui ne dispense pas du plaisir à prendre une bonne leçon de style, mais le fait est qu’à la longue, on cherche un peu désespérément un ressort autre que l’amusement de l’auteur à décortiquer ces mêmes et sempiternels univers familiaux et quotidiens, fût-ce pour mieux faire apparaître l’irréductible solitude de ceux qui n’y adhèrent pas naturellement. Sous couvert de quelque petite intrigue sans importance, l’écrivain ne cesse en fait de polir et d’ajuster son style. Lequel est assez magistral, en effet, mais cette excellence-là ne suffit pas toujours à nous dissuader de bâiller. Ecrites avec un goût prononcé pour la digression naturaliste et pour la circonvolution sociologique, excellemment traduites (mention spéciale à Dominique Mainard), ces nouvelles nous offrent donc un bon aperçu des univers et des visions de John Cheever, même si la compilation opérée ici relève parfois de l’insondable mosaïque. Enfin l’on ne peut pas ne pas évoquer cette manière, sans doute assez moderne, de laisser les histoires s’achever comme elles viennent, et cette façon un peu guindée de ne pas les clore. Certes cela désarçonne au début, mais cela finit aussi par devenir prévisible, et parfois un peu artificiel. Du coup l’on pensera à Raymond Carver, qui avait ce génie-là, mais chez qui on sentait que le souffle se brisait sur quelque chose d’époumoné, d’exténué et de viscéral qui, ici, finit par nous manquer.