“Le dernier cours a été l’occasion d’entendre Matteo Merzagora sur la science dans le cinéma de fiction. Trois idées fortes peuvent être retenues :
- La communication scientifique implicite, que véhicule notamment le cinéma de fiction, peut avoir des impacts bien plus forts que toutes les actions de médiation scientifique (explicites) réunies, lorsqu’elles prennent la forme de séries TV cultes ou de films à grand succès.
- Le cinéma américain, bien que plus spectaculaire, est bien plus riche de science que le cinéma européen, pourtant plus intellectuel. La thèse proposée par Matteo Merzagora consiste à rappeler que, alors que le second est davantage un cinéma d’auteurs, souvent littéraires, qui privilégient ce qui les touchent eux, le cinéma américain est lui fabriqué par des professionnels du film à succès, qui recherchent avant tout ce qui intéresse le public ; les problématiques scientifiques, par exemple.
- Par suite, plutôt que de produire une critique des films de fiction à partir de l’image de la science qu’ils proposent, des erreurs qu’ils commettent ou des sujets qu’ils omettent de traiter, il est bien plus intéressant de les analyser comme le reflet de ce qui intéresse nos sociétés occidentales, de leurs peurs et de leurs attentes, de l’image de la science que les citoyens se font.”
Prenons les points l’un après l’autre.
Je suis d’accord avec le point 1. Et qui ne le serait-pas !! C’est d’ailleurs un point d’achoppement avec les scientifiques. Selon eux, les images proposées sont bien loin des sciences, et on n’y parle pas vraiment de science. Cette représentation scientifique issue d’une culture populaire pourrait peut-être s’apparenter à cette littérature du XIXème siècle faisant de la logique la mère de toute intelligence (je pense à Sherlock Holmes ou à Rouletabille en France). On peut encore ponser à Jules Verne et sa production projective des années à venir. Soit.
Je suis d’accord avec le point 2. Et il serait difficile d’en être autrement. De toute façon, d’un point de vue quantitatif, la production hollywoodienne est énormément plus importante que la production européenne, et il n’est alors pas difficile de trouver des sujets qui traitent de science.
Il est aussi vrai que le rapport qu’entretiennent les américains avec les sciences est probablement plus populaire, plus ouvert. Lors d’une session d’été de l’ISU (International Space University), très américaine, je ne m’attendais pas à rencontrer des gens issus de toutes les classes sociales venir parler à haut niveau de l’ensemble des disciplines scientifiques liées au domaine spatial. C’était d’ailleurs encore plus vrai pour le Canada que pour les Etats-Unis. Les modèles d’edutainment (comme par exemple l’exploratorium de San Fransisco) voient leur naissance aux Etats-Unis. Le héros Feynmann est un héros populaire dans le sens qu’un petit juif de Brooklyn jouant des percus bossait à Fort Alamo. Bref, que les sciences soient plus traitées dans la culture populaire est une très bonne nouvelle ; notre vieux continent garde des souvenirs mandarins qu’ont partiellement oubliés d’autres cultures, nord américaines par exemple.
Le point 3 me pose beaucoup plus de problèmes. J’imagine que la petite pause du soir devant Doctor House, Urgences, Les Experts et bien d’autres séries, est à l’origine de la proposition de Matteo. Mais encore faudrait-il supposer que les sujets abordés dans ces séries sont produites en miroir de ce dont pense “le grand public”. Est-ce vraiment le cas ? Je pense au contraire que les séries télévisées représentent un consensus sociétal : tout le monde est d’accord pour penser que … au choix :
- la moche Ugly Betty doit devenir jolie un jour,
- les fantômes sont quand même susceptibles d’exister
- l’expertise médico-légale, comme toute expertise, a forcément raison
- la recherche de la maladie chez les autres n’est rien d’autre que l’expression d’une maladie refoulée chez le thérapeute
- etc.
Bien sur, ce qui est vrai pour les séries télévisées est également vrai pour les films “hollywoodiens”. Or, Hollywood, cette extraordinaire machine à produire du consensus, ne reflète absolument pas les très nombreuses pensées individuelles, seulement une moyenne statistique. Indiquer que se cachent dans ces films ou ces séries, “en moyenne”, un intérêt pour les problématiques scientifiques est vraiment étonnant. Si on regarde de très près les sujets couverts, on voit bien que ceux qui touchent le corps, sa pérennité, son vieillissement, … arrivent en tête. Les sujets avec les accidents nucléaires sont passés de mode : aujourd’hui, la part belle est donnée aux infections, aux problèmes chirurgicaux, au corps morts qui parlent, etc. Le consensus n’est donc pas à l’intérêt pour les problématiques scientifiques, plutôt aux questions existentielles !!
Il a pu être dit, par ailleurs, que Hollywood est également un formidable organisme de propagande. Ce n’est pas forcément entièrement vrai, mais il y a quand même un fond de vérité. Ce qui implique que dans ce discours scientifique, il y a des idées fortes qui ne peuvent être mises à discussion. Par exemple, citée plus haut, l’idée que l’expert “sait” par exemple. Ainsi, l’expertise ADN, ressort scénaristique appelé à tout bout de champ, exclut toute possibilité que ce soit une autre personne qui soit coupable du méfait. L’expert “lit” la réalité comme à travers un livre ouvert, et rend ses conclusions.
Propagande, oui, c’en est : car l’idée générale concernant les fameux experts est beaucoup plus ouverte, d’un expert tout puissant à un expert maléfique puisque soumis au méchant lobby de puissances économiques. Donc, la production de films dont la matière est partiellement scientifique (gros plans de pipettes, de pinces, de centrifugeuses, d’ordinateurs sophistiqués) est de la propagande. Pour certains, cette propagande est même délétère, puisque du coté des technosciences.
Penser que l’analyse des ces objets filmiques serait intéressant, je suis d’accord. Mais renseigne t’il sur notre société et son rapport avec les sciences ? J’en suis beaucoup moins sur. Il faudrait avoir beaucoup plus de recul, comme nous pouvons par exemple en avoir aujourd’hui sur les films français sous l’occupation (un évitement de la propagande “en douceur”), ou sous la période Ceaucescu en Roumanie.
Un dernier point, concernant les scientifiques eux-mêmes. Plus proche de sa spécialité, plus proche de l’irréalité !! “Gorilles dans la brume” pourrait être un film intéressant, y compris d’un point de vue scientifique pour un physicien, et complètement irréaliste pour un éthologue. Et si nous voudrions réaliser des films de sciences, il faudrait qu’enfin, un accord “correct” puisse être trouvé. Pas celui dirigé par un comité scientifique expert de tout, y compris de la médiation. Pas celui défini par une bande de scénaristes hollywoodiens. Plutôt un accord accepté par beaucoup. Un exemple que je n’ai pas personnellement aimé, mais qui indique peut être la voie du milieu (petit scarabée) : ReGenesis. Mais cet exemple me semble assez unique.