Mon copain Antoine vit dans un coin paumé du haut des Albères, au creux d’une gorge profonde. Il reste cependant toujours autant passionné par la vie locale. Aussi, chaque fois que je rejoins mon jardin secret, isolé et sauvage, entre chênes lièges, granit et torrents, je monte le rencontrer dans sa montagne. En cette fin d’après midi, un verre de banyuls à la main, il m’annonce qu’il n’y a pas que les français qui délaissent le pays. Côté espagnol, la situation n’est guère enviable. Des éleveurs ont, parait-il, jeté l’éponge et abandonné leurs troupeaux. Les bêtes, affamées, ont fuit dans la montagne à la recherche de pâturages. Certaines ont franchies la frontière. Redevenues sauvages, elles pouvaient se montrer agressives. Certaines de ces vaches ont été abattues dans les Albères cet été. Un arrêté préfectoral l’autorisait afin d’enrayer un prétendu risque de propagation du virus de « la langue bleue ». En fait il s’agissait de quelques exemplaires de l’espèce « fagina » ou « massanaise », connue pour son rugueux caractère, sa faculté à débroussailler et sa rareté ! Espèce protégée, qu’importe ! Le coin est envahi par les retraités qu’il ne faut pas affoler, d’autant qu’invalidés par leur age, ces ex citadins ne savent, ne peuvent, réagir lors de ces rencontres impromptues…
Avec Antoine, nous décidons d’en rire… Que faire d’autre ? Il me rappelle sa déconvenue dans une de ses tentatives d’élevage. Propriétaire d’une parcelle boisée, envahie par les ronces et les broussailles, et ne voulant pas vivre l’épreuve d’un feu de forêt, il acheta un bouc et quelques jeunes chèvres qu’il lâcha dans un enclos. Une bourrasque de la tramontane corrigea ses espérances en regrets. Un vieux micocoulier s’effondra sur l’enclos et libéra les bêtes. Il eut beau courir la montagne, avec chiens et ardeur, rien n’y fit. Les caprins avaient disparus.
Quelques années plus tard, ces bêtes s’étaient merveilleusement acclimatées et avaient tant copulées que là encore, les autorités décidèrent d’y remédier… Cela fit un sacré tumulte dans les mas de la montagne. Pensez donc, vouloir supprimer les dernières chèvres sauvages des Pyrénées ! « Tu peux me croire, je ne me suis pas manifesté ».
- Et tes chevaux ? Je ne les ai pas vu ! Habituellement, ils viennent nous rendre visite derrière la clôture du mas dès notre arrivée. Cette fois ci, j’ai eu beau les chercher, y compris près du paddock ou des écuries. Tu ne les aurais pas perdu, eux aussi ?
- Non, répondit-il en souriant. Je les ai vendus.
Et de m’expliquer qu’il n’a plus le temps à leur consacrer. Et puis, il n’a plus l’âge… De toute façon, les chevauchées en montagne n’ont plus le succès d’autrefois. Les touristes restent dans les manèges. Qui d’ailleurs sait monter ? Ceux qui savent possèdent leur propre cheval..
- D’ailleurs regarde ce qu’ils font de l’autre côté (il parle des espagnols). Tu peux maintenant faire des randonnées dans l’empordà en Segway,
- C’est cet engin sur 2 roues qui peut transporter une personne ?
- Oui, genre patinette, mais sur 2 roues toujours en équilibre. Le principe du pendule inversé. Ca passe sur tous les chemins, et comme c’est électrique, ça fait moins de bruit qu’une moto. Le côté « nouvelle techno » fait le reste… Une entreprise loue maintenant ces engins à Gualta dans la Baix Empordà.
- Penses-tu que ca passerait sur nos chemins ?
- J’sais pas ! Ca me parait un peu trop abrupte.
Il me trouve la brochure de l’entreprise. « Si ça t’intéresse… »
Elle s’appelle Ocitania. Elle loue également des vélos et, horreur, des quads !
Après un excellent repas – paupiette de rouget et cailles farcies, arrosées des fameux vins du « Château Valmy », une propriété 100% féminine de côte de Roussillon dont je vous parlerai un de ses jours – il était temps de rentrer chez nous. Quelques gros poutous et mon épouse prit le volant…