Il est certain que le mot " race " a disparu du vocabulaire usuel, à l'exception de la zoologie, depuis les années 1960-1970. L'une de ses dernières traces officielles se trouve dans l'article 1er de la Constitution de 1958 qui dispose notamment : " La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. " A l'évidence, l'épisode colonial, ses illustrations et ses préjugés (voir ci-contre une publicité
" Mais le péché originel de l'anthropologie consiste dans la confusion entre la notion purement biologique de race (à supposer, d'ailleurs, que, même sur ce terrain limité, cette notion puisse prétendre à l'objectivité, ce que la génétique moderne conteste) et les productions sociologiques et psychologiques des cultures humaines. [...] Il y a plus de cultures humaines que de races humaines, puisque les unes se comptent par milliers et les autres par unité. "
Le problème du racisme n'est pas évacué : " L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. "
Je cite systématiquement ce quatrain lorsque je suis amené à conseiller les entreprises
" Mais la simple proclamation de l'égalité naturelle entre tous les hommes et de la fraternité qui doit les unir, sans distinction de races ou de cultures, a quelque chose de décevant pour l'esprit, parce qu'elle néglige une diversité de fait, qui s'impose à l'observation et dont il ne suffit pas de dire qu'elle n'affecte pas le fond du problème pour que l'on soit théoriquement et pratiquement autorisé à faire comme si elle n'existait pas. [...] ce qui convainc l'homme de la rue que les races existent, c'est l'évidence immédiate de ses sens quand il perçoit un Africain, un Européen, un Asiatique et un Indien américain "
L'homme de la rue, que l'auteur prend en exemple, risque fort de se cabrer si l'on cherche à lui imposer trop longtemps une vision du monde que chaque regard qu'il porte sur ceux qui l'entourent infirme ; sa réaction - son refus d'être éternellement pris pour un nigaud par quelques beaux esprits - peut alors le conduire vers des dérives extrémistes particulièrement préoccupantes. Les partisans des théories les plus nauséabondes attendent cet homme de la rue les bras ouverts en lui tenant un discours, certes fallacieux, mais qui lui semble
" L'exclusive fatalité, l'unique tare qui puisse affliger un groupe humain et l'empêcher de réaliser pleinement sa nature, c'est d'être seul. [...] Tout progrès culturel est fonction d'une coalition entre les cultures. Cette coalition consiste dans la mise en commun (consciente ou inconsciente, volontaire ou involontaire, intentionnelle ou accidentelle, cherchée ou contrainte) des chances que chaque culture rencontre dans son développement historique ; enfin, nous avons admis que cette coalition était d'autant plus féconde qu'elle s'établissait entre des cultures plus diversifiées. "
" Mais si l'humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules valeurs qu'elle a su créer dans le passé [...], elle devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l'appel d'autres valeurs, pouvant aller jusqu'à leur refus, sinon même leur négation. Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l'autre, s'identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communication intégrale avec l'autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l'originalité de sa et de ma création. "
Ce texte lucide et pragmatique ne sera peut-être pas du goût des intégristes du métissage, il n'en constitue pas moins le point de départ d'un débat intéressant. Les propos d'Eric Zemmour, pour provocateurs qu'ait été leur forme, relèvent de la même nature. Ils offrent l'occasion d'un débat, démarche qui se révèle toujours enrichissante pour une société qui ne peut que s'ossifier si elle ne tolère qu'une pensée unique. Comme je l'avais noté dans un article consacré à l'Affaire Siné, lorsque les prétoires se substituent aux forums, ce n'est jamais un signe de bonne santé pour une démocratie.
Illustrations : Eric Zemmour - Gus Bofa, publicité pour une lessive, vers 1920 - Page d'un manuel de géographie, 1937.
À propos de T.Savatier
Ecrivain, historien, passionné d'art et de littérature, mais aussi consultant en intelligence économique et en management interculturel... Curieux mélange de genres qui, cependant, communiquent par de multiples passerelles. J'ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog parce que les artistes, c'est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations... Livres publiés : Théophile Gautier, Lettres à la Présidente et poésies érotiques, Honoré Campion, 2002 Une femme trop gaie, biographie d'un amour de Baudelaire, CNRS Editions, 2003 L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 2006 Courbet e l'origine del mondo. Storia di un quadro scandaloso, Medusa edizioni, 2008