Le spectacle fantasmé du football, tel que le restituent les retransmissions télévisées, n'a t-il pas pris définitivement le pas sur la réalité du terrain ?
Définitivement, on ne sait pas, mais à ce jour, oui, assurément. C’est d’abord par la télévision que la quasi-totalité d’entre nous vit le football, or le filtre entre le réel et ce que nous recevons dans nos salons est de plus en plus épais et complexe. Les choix du réalisateur modifient en profondeur la nature, le rythme et la vision du match. L’écart entre le regard du spectateur dans le stade et celui du téléspectateur grandit sans cesse.
Vous regrettez dans votre livre l'abus du recours aux ralentis lors des matches télévisés, plaie des retransmissions à la française. Comment expliquez-vous cette surenchère ?
Les réalisateurs cherchent à épater. Ils sont fascinés par la technologie et leur propre pouvoir, grisés par leur virtuosité (réelle), et ils arborent fièrement leur magnifique panoplie technique. Ceci est d’ailleurs excellent pour l’image "branchée" de la chaîne. Là-dessus vient se greffer une envie de jouer à l’enquêteur, de débusquer ce qui est caché - et même d’arbitrer à la place de l’arbitre…- qui pose de lourds problèmes. A l’arrivée, il y a une victime : le football.
Dans le commentaire des rencontres télévisées, le rôle du journaliste se limite souvent à celui d'animateur, l'analyse technique du match étant désormais confiée aux consultants que les chaînes se disputent. Estimez-vous cette évolution irréversible ?
Je ne dirai pas que les consultants proposent vraiment des analyses techniques, car elles sont très rares. En fait, commentateurs et consultants se neutralisent l’un l’autre. Le résultat est un discours creux, basé sur le consensus mou, le culte du ralenti, de la technologie et des statistiques. Ce n’est pas irréversible, mais cela durera tant qu’une autre philosophie et une autre structure du football télévisé ne verront pas le jour.
Vous confiez avoir contacté pour les besoins de votre livre chaînes de télévision, journalistes et réalisateurs. À l'arrivée, seul le réalisateur Jean-Paul Jaud vous a répondu et a accepté de vous recevoir. Cela en dit long sur le sens de l'autocritique et l'envie de dialogue des professionnels de la profession…
La capacité d’autocritique et la volonté de dialogue de la télévision sportive sont quasiment nulles. Il n’y a rien de démocratique dans son attitude. Ceci fait d’autant plus problème que le football est un sport fondamentalement populaire. Vis-à-vis des gens qui cherchent à entamer un dialogue avec elles et à ouvrir le débat, les chaînes choisissent généralement l’indifférence ou le silence glacé. Nous en sommes là. Il y a du travail !