Au fait, que représente-t-elle l’identité européenne ? Dépourvue de hautes prétentions, essayons d’éclairer quelques aspects de ce sujet qui fait objet de polémiques et de débats passionnés partout en Europe, hasardons-nous au moins d'aiguiser les angles.
Chacun s’accorde à dire que cette identité doit être une qualité essentielle de tous les habitants de l’Europe (Que représente-t-elle l’Europe, ne serait-ce de point de vue géographique ? Jusqu’où s’étend-elle ?). Autrement dit, il s’agit d’une identité où chacun trouve son expression tandis que le groupe voit le reflet de ses intérêts, une identité collective, voire même sociale (qui sont les limites minimales du groupe pour qu’il puisse constituer un collectif – famille, village ou quartier, ville, région ou l’État ?). Toutefois, pour qu’elle puisse être concrète, cette identité a besoin d’être nucléarisé dans ses propres éléments, voire ses propres champs communs : une communauté de destin ou de vie solidaire, une communauté choisie qui permet l’accomplissement des idéaux qui portent en soi l’espérance, une communauté de valeurs abstraites – pluralisme, tolérance, égalité, justice, non-discrimination (note 1) – qui en fin de compte constituent le socle de toute société civile, une communauté de loi ou de légalité (il manquent encore deux ou trois expressions – communauté de " communautés ", communauté d’intérêts et communauté d’actions – pour que l’identité européenne se transforme en Communauté Européenne – note 2). Devant la confusion, il suffit de dire que si l’identité européenne n’est pas encore définie en tant que concept, le besoin d’une telle définition est enfin une nécessité :
" .. peut-être la plus importante des tâches qui se pose aujourd’hui devant la Communauté Européenne est que cette dernière puisse entreprendre une réflexion nouvelle et suffisamment claire vis-à-vis de ce qu’on appelle identité européenne, une articulation nouvelle et suffisamment claire de la responsabilité européenne, un intérêt intensifié dans le sens profond de l’intégration européenne dans toutes ses implications concernant le monde contemporain, ainsi qu’un récréation de son ethos ou si l’on veut de son charisme. " (note 3)
Le dilemme devant lequel nous nous trouvons ressemble à celui de saint Augustin qui dans ses " Confessions " s’exprimait vis-à-vis le temps : " qu’est-ce donc le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne sais plus ". Voici pourquoi, il devient plus simple de comparer l’identité européenne avec le caléidoscope : qui change continuellement, à travers le mélange des perceptions du passé et la recherche d’un futur cohérent… comme une communauté multiforme et compliquée qui avant tout, contient un sens de appartenance envers une espace commune légale. (note 4) . Or, si tous les chemins mènent vers l’héritage commun spirituel et moral qui se concrétise à l’intérieur de " l’espace commune ", les éléments les plus essentiels doivent être recherchés dans " la culture européenne ". (Pour lire le texte en entier: cliquer ici) Et si jamais, cette identité européenne était l’amalgame des diversités que les différents peuples représentent en soi et qui les apportent au sein de l'Union ? Et si jamais encore, l’identité européenne pouvait se concevoir comme un creuset de cultures, véhiculées par les diverses civilisations que le continent ait vu ? En tant que " dynamique d’ensemble qui conjugue le passé, le présent et le futur ", la culture européenne ressemble à cette roche conglomérée, comprimée par le poids du temps, qui laisse toutefois apparaître l’entrelacement des différentes strates chronologiques : le monde matriarcal des agriculteurs – éleveurs néolithiques qui ont inventé la " civilisation de l’Europe ancienne " ; la société masculine et guerrière des " peuples des Kourganes " qui écrase la première pour donner naissance aux Indo-Européens ; l’invasion Celte avec ses rites mystérieux funéraires ; le monde hellène avec ses cités-Etats, ses philosophes et ses artistes de génie ; le monde romain et ses perfections en droit, en politique et administration ou encore en architecture ; le macrocosme germain et Goth et son pouvoir régénérant sur une Rome mourante ; l’univers byzantin avec ses sources religieuses judéo-chrétiennes, sa mystique slave et ses incomparables codes des Lois ; la lame de fond musulmane et ses inspirations scientifiques et théologiques ; la dispersion juive avec ses capacités intellectuelles, économiques et artistiques ; l’ensemble latin avec ses hiérarchies royales, ses savoir-faire technologiques et militaires…
Toutefois, l’identité européenne ne peut être conçue qu’au croisement d’une série de vastes mouvements interculturels de nature morale, politique et idéologique qui ont réussi à faire l’amalgame des apports. La religion chrétienne, ce " ciment de la première Europe " (note 5), fait partie du nombre. Reconnaissant l’égalité de tous devant Dieu, la dignité de la personne humaine dans la recherche du bien commun, elle établit le socle de la pensée et devient facteur d’unification des croyances, des organisations sociales et des moyens d’expressions. Font également partie du nombre les pratiques politiques et les expériences administratives comme les principautés, les royaumes et les empires. Ainsi s’établit l’ordre et se constitue le corps social, se composent les alliances ou les parentés, ainsi se différencient les élites. Parallèlement, des réseaux humains se mettent en place : des artisans et des guildes, des moines et des pèlerins, des chevaliers et des croisés, des nobles et des érudits, des marchands et des voyageurs…
Lequel de ces éléments manque-t-il à l’espace originel albanais ? Pratiquement aucun. Il a appartenu corps et âme à ce monde, se confondant avec lui dans les habitudes et dans les mœurs, partageant avec lui les péripéties et les malheurs. Sauf que la véritable aventure européenne commence en ce XVème ou XVIème siècle, le moment même quand les contrées albanaises deviennent partie de l’Empire ottoman. Or, il se trouve que les Ottomans n’ont pas partagé la même aventure, participé aux même dynamiques que les peuples de l’Europe chrétienne. L’authentique Europe embrasse la Renaissance, la Conquête, l’Inquisition, la Réforme, les Lumières, le romantisme et bien d’autres choses encore.
Malgré cela, le vaste fonds commun de la culture et le parcours commun des peuples, bref l’histoire, n’est qu’un dénominateur commun ni suffisant ni apaisant. Il faut également penser à d’autres éléments tels que l’éthique politique, la citoyenneté, l’éducation – sans oublier ces " similitudes de manières " qui caractérisent la pratique sociale ou encore les normes et les règles communes qui rationalisent le système économique. En dernier lieu, les Européens ont en commun des projets institutionnels et affichent une volonté d’appartenance. Et c’est surtout en terme d’approche commune et d’esprit de coopération que l’on conçoit l’identité européenne car, ni les principes qui les séparent ni les pratiques qui les déchirent ne manquent : il suffit de se rappeler des identités nationales extériorisées, des nationalismes agressifs, les idéologies concurrentes, les pouvoirs dictatoriaux ou autoritaires. A ce dernier chapitre appartiennent les Grandes guerres mondiales, l’extermination des Juifs et d’autres épisodes tout aussi dignes d’être oubliés.
A quelle distance, l’identité albanaise se tient-elle vis-à-vis de l’identité européenne ? D’un point de vue historique, les Albanais n’étaient pas les seuls à partager le périple ottoman Vu de l’Europe, tous les Balkans ou presque n’étaient qu’une " région intermédiaire, située entre l'Occident, l'Orient et l'Afrique, et centrée sur la Méditerranée (note 6) ", entraînés dans une dynamique post-byzantine et ex-ottomane, où les identités locales ont été construites sur l’exemple de certains modèles occidentaux et orientaux à la fois, suivant " une alchimie d'intégrations et de rejets qui a fait naître les peuples sud-est européens actuels ". A ce titre, les Balkaniques partagent davantage de valeurs qu’ils contestent de différences, inspirant Cvijić et autres anthropogéographes à élaborer des modèles de type homo balkanicus, animé d’une mentalité balkanique particulière.
Les premiers éléments de différentiation régionale apparaissent sur le plan socio-politique, dès l’établissement des frontières et l’institution des pouvoirs. Ainsi, l’identité régionale, voire nationale, paraît investie de nouvelles interactions – individu et pouvoir, société et élites, ce qui implique une discrimination des connaissances, des principes et des valeurs afin de produire des stéréotypes, alimentant le présent. Le passé devient ainsi un vaste champ de fouilles et l’histoire constitue cette matière malléable a souhait, indispensable pour ériger de nouvelles frontières imaginaires entre le Soi-même et l’Autre. Sur cette perspective, il ne suffit plus de demander ce que l’identité nationale représente mais, plutôt qui l’a construit et surtout pour qui et contre qui a-t-elle été construite (note 7).
Dès lors que la dichotomie entre le Soi-même et l’Autre est installée, le monde change de face. Elle se divise entre centre et périphérie, entre progrès et régression, entre modernisme et anachronisme. Sans aucun doute, l’Occident représente le modèle à suivre tandis que les Balkans ne sont que l’exemple à oublier. Pour les Européens, les Balkaniques ne sont que les autres tandis que pour les seconds, les premiers constituent cette partie idéalisée de soi-même, ce coté évanescent qu’on rêve être. Soyons enfin magnanimes ! Les civilisés Européens reconnaissent aussi que les arriérés Balkaniques représentent enfin une partie de soi-même ; sauf qu’il s’agit de cette partie honteuse à cacher, voire à effacer – intolérance, nettoyage ethnique, extermination … . Toutefois, les européens ne peuvent pas ignorer que partout, les constructions identitaires fonctionnent d’une façon similaire : dans l’espace de l’Europe occidentale, dans l’espace centrale Mitteleuropa – voire même dans l’espace balkanique. La Première Europe – celle des nations et des États – jusqu’à la veille de la Seconde guerre mondiale, a du céder sa place à la Seconde Europe – presque invisible, car divisée par le Rideau de Fer et dissoute à l’intérieur des Blocs antagonistes. L’unique voix au milieu du désert fut celle du Général de Gaulle dans les années 60, qui osa définir la réalité européenne comme une communauté de valeurs de l’Atlantique à l’Oural. Sous l’inspiration socialiste, s’est vue naître une nouvelle vision – celle de l’Europe comme une troisième force, entre le capitalisme et le communisme, qui après la chute du Mur de Berlin s’est concrétisée en la Troisième Europe : une force nouvelle, intégrée de point de vue politique, économique et finalement culturelle de la sphère occidentale – une digne concurrente au marché mondial libéral. A ce stade de développement, la " Nouvelle " Europe poussée par le pragmatisme s’est fiée à son intuition et surtout à son jugement. Entre temps, elle avait dépassé cette barrière " du choc des civilisations ", confirmée par Huntington (note 8), intégrant dans son sein une Grèce qui appartenait à la fois au monde balkanique et au monde orthodoxe ; elle a consolidé son geste à travers l’admission d’une série de pays appartenant au " monde slave " - Pologne, République Tchèque, Slovénie ou Slovaquie, peut être incitée par leurs références catholiques. Or finalement, elle a récidivé avec le cas bulgare, appliquant sa confiance sur la sphère balkano-slavo-orthodoxe. Le seul pas qui elle hésite à franchir est l’acceptation des pays balkano-musulmans, sûrement à cause de leurs faiblesses démocratiques. Malgré tous les arguments employés et les logiques suivies, actuellement l’Union européenne a touché les extrêmes de son espace " naturel " : les frontières du monde orthodoxe " propre " - avec la Russie au centre et du monde musulman – avec la Turquie en tant que parfait représentant.
Le projet de l’identité européenne est né sous le signe de l’union. Cela a abouti comme une union économique - le charbon et l’acier – pour s’ouvrir tour à tour vers d’autres domaines : culturel, politique, institutionnel… Or avant tout, l’idée centrale de cette union était de modifier les rapports entre Soi-même et l’Autre, à l’intérieur de l’espace occidental pour tenter de mettre fin à la guerre. " Plus jamais ça " - veut dire, faire appel à la mémoire pour se rendre compte que la meilleure façon de dépasser un certain passé est de se fédérer autour d’une idée post-nationale. Faisant confiance à l’état de doit, à une substance vidée de son contenu historique pour devenir une norme, une institution – voici le fonds de pensée d’un Ulrich Beck quand il désigne son cosmopolitisme procédural comme essence de l’européanité. Malgré tout, aucun cosmopolitisme du genre n’est capable d’absorber le pouvoir de l’imaginaire collectif. Le fait de s’arroger le droit de fixer un " standard " de citoyenneté européenne sous-entend que désormais, on est en mesure d’ériger cette frontière imaginaire en une façon consentie, qu’on est capable de la déplacer, de redimensionner l’espace en termes d’Occident et d’Orient.
Laquelle des ces idées anime Kadare et autres Albanais quand ils proclament leur nouvelle " identité européenne " ? Probablement aucune - leur vision de l’histoire mise à part. A leur échelle, ils interviennent uniquement sur les clichés de Soi-même et de l’Autre : il suffirait alors de renier le passé pour devenir de " vrais Européens ". D’autres, ceux qui nous regardent de loin, pensent autrement :
Prétendre rejeter cette tradition musulmane, imaginer que l’immense majorité de la population pourrait abjurer sa foi, est une illusion dangereuse. Tout comme il serait dangereux de vouloir escamoter l’héritage ottoman qui, pour le meilleur et pour le pire, a façonné l’identité actuelle du peuple albanais, comme de tous les peuples de la région. Vouloir se débarrasser de cet héritage reviendrait à se priver de sa culture et de son identité. (note 9)
Sans trop comprendre son mécanisme interne et ses principes fondateurs, on croit uniquement savoir que l’Europe serait liée à l’Albanie par un hypothétique devoir de civilisation et d’assistance. Au fait, depuis quand ce continent déjà multiracial aurait-il exprimé le souhait de vouloir améliorer son image, à travers l’intégration de trois millions de peaux blanches ou de sangs bleus ? En quelle occasion, l’Europe multiconfessionnelle aurait-elle manifesté un sentiment de rejet vis-à-vis de ces deux petits millions de musulmans agnostiques, par crainte de ruiner son paysage religieux ?
-------------------------------------------------------------------------------------- 1) Armin von BOGDANDY - The European Constitution and European Identity: A Critical Analysis of the Convention's Draft Preamble, dans: Weiler and Eisgruber, eds., Altneuland: The EU Constitution in a Contextual Perspective, Jean Monnet Working Paper 5/04. 2) Concernant le socle commun et les valeurs qui stucturent la Communauté Européenne, voir : SZAZADVEG – European values & Identity : A reflection for an indispensable discussion, Szazadveg Foundation, Austrian Institute for European Security Policy.. 2005. 3) Vaclav HAVEL - Discours devant le Parlement européen, 8 mars 1994. 4) Council of Europe – European identity : a kaleidoscope undergoing constant development, " The notion of Identity ", Discussions, April 17-18, 2001. 5) Voir : Dominique HAMON & Yvan Serge KELLER - Fondements et étapes de la construction européenne, PUF, 1997. 6) Albert DOJA - Formation nationale et nationalisme dans l'aire de peuplement albanais, Europa, Volume 3, No 2 – 2000. 7) Dimitar BECHEV – Constructing South-East Europe : the Politics of Regional Identity in the Balkans, Europe and the Mediterranean Convergence, Conficts and Crisis (Working Paper Series), European Studies Centre University of Oxford, Ramses 2 paper 1/06, march 2006. 8) Voir : Samuel HUNTINGTON – Le clash des civilisations, Ed Odile Jacob, Paris 2000. 9) Voir : Jean – Arnault DERENS – Christianisme et identité albanaise, Religioscope, Études et analyses nr. 12, mai 2007. në : http://religion.info.
LES COMMENTAIRES (2)
posté le 05 mars à 08:11
bonjour ; vous pouvez rentré en contact avec moi , tout simplement , si vous refusez mes îdées ? mon athéîsme ? vous avez mon adresse mail , ?? j-jacques
posté le 04 mars à 13:05
bonjour ! chacun peut avoir une notion différente de ce que c'est que d'être européen .. au delà des grandes nations qui comme les germains ont marqués une forte trace ...ce bien sur depuis l'antiquité .. les romains ...les grecs et tant d'autres comme l'espagne .. je trouve que l'europe est une belle chose , que représente -elle pour moi ?? un grand terroir de peuples frères et cousins , même si parfois et souvent ennemis ... sud / nord ..
pour moi l'europe , c'est le terroir géographique , donc de l'islande à la grèce , du caucase au pays scandinaves .. des pays russes au portugal ..
cette énorme rectangle qui comprends toutes ces nations et divisions frontalières , mais dont les gens sont en fait de la grande europe ! il y a en espagne du sang germain , et du sang germain en grèce ... mais il y a du sang hongrois dans le languedoc et tant de mélanges ... les espagnols ont dominés la flandre ...etc... moi même de père languedocien et de mère sicilienne (gréco /arbëresh ? ) je suis français ; sans avoir le sentiment d'avoir du sang de franc (germains ) ce qui prouve bien que les divers pays sont des enclaves politiques et idéologiques où , se mèlent divers peuples d'europe ... il y a rien qu'en france , tant de multitude d'un breton à un niçois ... d'un alsacien à un catalan ... d'un savoyard à un normand ...pourtant qu'elle est le point commun ?? l'europe ..non économique et du fric ...mais l'europe qui est le berceau de ces nations ... je suis d'abord européen de race et français d'identité ; même s'il est pas politiquement correct de parler de race ?? je m'en moque éperdument ..je suis de race européenne , dans toutes mes différences ...j'appartiens à la terre certes ; mais aussi à l'esprit de l'europe et pour moi être européen , c'est aussi avoir grandit comme l'humanité qui évolue ... nous avons eu besoin du christianisme , quand nous étions adolescent , à présent adulte , l'exemple grec ancien ou républicain français était une merveille ...être athée et philosophe , ouvert à tous et """AVOIR UN ESPRIT D ANALYSE """
ne pas avoir la pensée unique ; c'est ça pour moi l'héritage de l'europe et être son enfant ......... ne pas être guerrier , et avoir un esprit d'analyse .... jean-jacques respect à tous !