Magazine Culture
Interview "Etre disquaire en 2008" - Martial de Total Heaven Bordeaux
Publié le 01 décembre 2008 par OreillesTroisième étape et non des moindres de notre tour d’horizon des disquaires français, Dodb arrête sa caravane à Total Heaven, disquaire indépendant et intègre depuis 1996. Martial, véritable sommité bordelaise, batteur des Victory Hall, animateur sur Nova Sauvagine, Weenophile averti, Martial Jesus Selector pour les intimes, revient avec nous sur l’état de l’industrie du disque, sur son métier de disquaire, et surtout -on le sent bien- sur sa passion pour le vinyle, les beaux objets et la musique.
Comme on l’entend ici ou là, le cd est-il vraiment mort ?
Pas encore, il ne faut pas charrier, mais il est plutôt moribond, oui... Si j'étais méchant je dirais que ses créateurs, Sony et Phillips, n'ont que ce qu'ils méritent... Ils font un peu pitié à venir pleurer comme des enfants (même s'ils ne font désormais qu'un tout petit peu moins de chiffre d'affaire qu'auparavant). Pendant 20 ans les majors se sont goinfrés en ayant réussi à convaincre le grand public que les vinyles étaient obsolètes et que le cd était le seul format valable. On sait aujourd'hui que tout ça est archi-faux. Ce qu'on ne savait pas forcément à l'époque c'est que le cd en sortie d'usine ne valait que quelques sous et qu'ils nous refourguaient ça allègrement pour 150frs : Une des plus belle arnaque du music business soit dit en passant..._Alors aujourd'hui ça ne va pas fort... On baisse les prix. Mais pas assez... On veut faire payer le téléchargement, cette blague... Qui va payer pour quelque chose qui n'existe pas? L'avenir? La musique diffusée sur son téléphone... Ben tiens! Super le son!!! L'Industrie du disque, la grosse, est complètement paumée. Les indés devraient mieux s'en sortir... Petite économie, commerce de proximité, pas de gros couts en marketing et en publicité... Ca devrait continuer à fonctionner. Et puis, je ne pense pas que le cd disparaisse complètement. Le vilain boitier cristal, cher et pas beau, sans rien de spécial, oui. Mais j'aime à penser qu'il restera de beaux digipacks, des anthologies, des coffrets avec de chouettes livrets, une iconographie de qualité... Tout ce qui donne envie d'acheter un objet...
Quelle est la place du vinyle chez le disquaire en 2008 ?
Il y a encore 2 ou 3 ans, nous concernant, c'était en gros 50/50. On sent bien depuis, que le vinyle reprend du "poil de la bête" comme on dit. On rebranche les vieilles platines, les jeunes récupèrent celles de papa, maman, ou tonton. On en rachète carrément, neuves ou d'occases... L'offre se fait encore plus grosse qu'avant j'ai l'impression.Après il suffit d'un rien pour que les gens s'emballent. Par ex. une info a été reprise par la presse, la hausse des ventes vinyles pour 2008, + 70%, ce qui est cool. Par rapport aux chiffres du cd qui n'arrêtent pas de baisser. Mais il suffit qu'une info, somme toute bénie, soit reléguée a la TV et ça devient presque un petit "phénomène"... "le vinyle revient" entend-on dans les conversations de tous les jours... Hé hé, tant mieux pour nous et pour ceux qui aiment ce format. Mais il n’était jamais parti!!!!
Le web est-il une menace ou un outil supplémentaire pour les disquaires ?
Comment dire? Les deux! On découvre plein de choses hyper vite, on communique beaucoup plus facilement, beaucoup plus rapidement, on travaille directement avec des petits labels... C'est bien. Mais on reste également de plus en plus derrière son écran, au lieu d'aller au contact des "vrais" gens, dans la "vraie" vie... Cela dit, c'est un problème qui dépasse largement le cadre de la musique...
De plus en plus de labels ont des shop en direct sur leur site Internet. Une nouvelle concurrence ?
"Menace" comme tu disais plus haut, c'est un bien grand mot, mais oui, c'est clairement une concurrence. Il y a beaucoup de clients qu'on ne voit plus du tout au shop. Je sais qu'ils n'ont pas "lâché l'affaire" comme on dit. Ils ont toujours le pouvoir d'achat. Ils sont toujours friands de nouveauté et de découverte. Mais ils font ça depuis chez eux, désormais. Une nouvelle tendance "comportementale" qui fait qu'on a tout ce qu'on veut instantanément, ok, mais aux dépends de la discussion et de l'échange. Je le regrette.
Le téléchargement de musique sur Internet : Un bien ou un mal ?
Un bien pour découvrir des nouvelles choses. Un mal pour la soupe des majors. Pas vraiment pour nous et nos petit groupes indépendants... Je reste bien trop attaché à l'objet... Caresser une couverture. Un bel artwork. Parcourir les notes de pochettes en rentrant par le tram à la maison. Lever mon cul pour tourner la face. Classer, déclasser, reclasser les disques - ok, je suis un pervers. Je n'ai aucune musique sur ordinateur. Je trouve ça vilain. Sans âme. Ca ne sonne pas. C'est nul. La musique dématérialisée me rend triste. Je préférais de loin me faire des k7 quand je n'avais pas d'argent. C'était bien mieux.
Myspace, Youtube, Facebook, t’en penses quoi ?
Myspace je m'en sers énormément, pour découvrir, contacter les groupes directement, les petits labels. C'est clair encore une fois que ça va très vite, peut être un peu trop... je veux dire c'est très pratique mais il y a encore une fois ce côté addictif ou j'aimerais passer du temps ailleurs... Youtube c'est fun pour mater des furieux qui jouent de la batterie comme des dieux par dessus Dinosaur Jr dans leur chambre... Facebook, rien à battre.
Comment peut faire un disquaire pour se renouveler en 2008 ?
Un disquaire vent des disques. Pas des lecteurs mp3, pas des jeux vidéos, pas d'ordinateurs... A partir de là, la marge de manœuvre est assez réduite. Continuer à être curieux et passionné... Etre toujours aussi excité quand on reçoit les colis et essayer de faire passer un peu de cette excitation aux gens qui viennent nous voir... Apres on peut aussi organiser des concerts, animer des émissions de radio (ce qu'on fait depuis longtemps). On peut faire des showcase, des expos, on s'y met d’ailleurs en ce moment même...
Est-il difficile d’être disquaire en 2008 ?
Plus facile que d'être caissière à Auchan en tous les cas.
Où trouves-tu tes nouvelles inspirations musicales ?
Aux concerts, et puis en discutant avec des gens, d'autres passionnés de musique, mais encore une fois, plus dans la vraie vie que derrière un écran...
Quelle est ta playlist du moment ?
Wave Pictures, Duchess Says, Kap Bambino, Jay Reatard, Ween, Cheap Time, Weakends, Wooden Shjips, Disco Doom, Times New Vicking... j'arrête ??? Non!!! Eddy Current, Supression Ring, Semi Playback, Melvins, Dinosaur Jr, Be Your Own Pet, Hello Sunshine, Deerhunter, Superbeatnick, No Age, Ratatat, Coconut Records, Koushik, Thomas Function, Dirtbombs, Les Yves, Pull, Meatards, Barbaras, Magnetix, ok, j'arrête, j'arrête...
Ton top 5 des meilleurs albums de tous les temps (sans aucune objectivité) ?
Juste des groupes, sinon je vais y passer la nuit : Ween pour moi, Stooges pour Babouche (mon collègue), Turbonegro, Dinosaur Jr et les Melvins pour tous les deux.
Un message particulier à faire passer ?
Une anecdote. Vers 1984 - j'avais 14 ans - je me rappelle très bien avoir vu Yves Mourousi, au 20h, affirmer sûr de son coup : "Vous pouvez jeter vos vinyles, voila l'avenir", montrant tout fièrement un moche cd (et allant jusqu'a le piétiner pour le prétendre incassable, ha ha ha). Le problème c'est que plein de gens l'ont cru cet empaffé (... déjà le pouvoir de la TV). Aujourd'hui Mourousi est mort. Et le vinyle se porte comme un charme._Une deuxième anecdote, dans le très bon documentaire "Scratch", on voit Peanut Butter Wolf, prendre un paquet de vinyles dans ses bras et les dorloter de manière super attendrissante... Essayez de faire ça avec des mp3! _Propos recueillis par Ju_A lire aussi : Interview "Etre disquaire en 2008" - Grégoire de Vicious Circle ToulouseA lire aussi : Interview "Etre disquaire en 2008" - Nico de O’CD Marseille