La crise semble passée au PS, du moins si l’on en juge par les propos apaisants des adversaires d’hier : « main tendue » et « propositions de travail » ont remplacé anathèmes doctrinaux et menaces judiciaires. Pourtant les causes du psychodrame des dernières semaines sont toujours bel et bien là. Si le congrès de Reims, dont on nous a survendu dans la presse le caractère historique et déterminant, a servi de révélateur de la profondeur des affres socialistes, rien n’est réglé pour autant. On se retrouve en effet aujourd’hui avec les mêmes acteurs, le même décor et, malheureusement, le même scénario qu’hier. Et il n’est pas certain que la rénovation de façade de la rue de Solferino que s’apprête à entreprendre Martine Aubry y change quoi que ce soit, pour trois raison principales.
D’abord parce qu’elle ne dispose d’aucune marge de manœuvre. Les conditions mêmes de son élection (parti scindé en deux, avance d’une centaine de voix, contestation des résultats du vote dans certaines fédérations…) ne lui confèrent qu’une légitimité fragile. Elle est à la fois mal élue et mal soutenue. En effet, la coalition qui l’a portée au pouvoir n’est que de circonstance quoi qu’en disent ses principaux artisans. Elle a été forgée dans le seul but d’empêcher Ségolène Royal de s’emparer du parti. Pis, le choix de Martine Aubry pour conduire les « reconstructeurs » à la bataille a été fait pour de mauvaises raisons : à la fois parce qu’elle est une femme (pour contrer une autre femme…) et parce qu’elle n’était pas (jusqu’ici) considérée comme présidentiable par les lieutenants de Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn – ceux-là même qui espèrent voir leur champion respectif l’emporter au finish dans la course à la désignation pour la présidentielle de 2012. Cette alliance des carpes de la gauche du parti et des lapins de son aile droite s’est même élargie à l’occasion de la tragicomédie rémoise aux soutiens de Bertrand Delanoë (anciens rocardiens, anciens jospinistes et partisans de François Hollande) puis à ceux de Benoît Hamon, désormais double héraut de la gauche du parti et de sa rénovation générationnelle ; même Arnaud Montebourg, le rebelle officiel du PS depuis des années, en est. Bref, tout le parti, de sa gauche à sa droite, de sa vieille garde à la jeune génération, se retrouve derrière Martine Aubry. Douteuse unanimité d’autant qu’elle ne pèse que 50% du parti. On peut également se permettre de douter de sa solidité. Sans revenir en effet à la querelle européenne de 2005, on peut se demander si dès qu’un choix programmatique devra être fait, cette coalition par défaut ne risque pas d’éclater. Ainsi, par exemple, de quel type de régulation du capitalisme le PS sera-t-il porteur dans le débat sur la sortie de crise ? Une fois proclamée l’unité des socialistes en faveur de la régulation, les propositions concrètes risquent d’être bien différentes d’une sensibilité à l’autre.
Ensuite parce qu’aucun des grands problèmes structurels qui minent le PS depuis des années n’a été résolu à Reims, bien au contraire. Chacun a pu constater que le Parti socialiste comme organisation était totalement inadapté à son objet affiché : la conquête du pouvoir d’Etat et donc avant tout de la présidence de la République. Le parti est encore largement organisé selon des principes parlementaristes (désignation de son « parlement », le Conseil national, avant le Premier secrétaire) et proportionalistes (élection du CN et du Bureau national à la proportionnelle quasi-intégrale). Il n’est ni équilibré ni transparent démocratiquement puisque les plus grosses fédérations y possèdent un pouvoir de décision exorbitant et que les possibilités de fraude y sont nombreuses – et largement acceptées comme un folklore nécessaire. Le congrès de Reims a également permis de constater, une nouvelle fois, combien le PS était peu en phase, dans sa composition sociodémographique même, avec la société qu’il prétend représenter. Le nombre de votants (entre 130000 et 135000) est particulièrement faible, à la fois par rapport au nombre annoncé d’adhérents (260000) et surtout par rapport à la masse critique nécessaire pour prétendre bien représenter la diversité sociale d’un pays de plus de 60 millions d’habitants. Plus grave encore, chacun a bien compris désormais que ce sont les élus et leurs entourages directs qui « sont » et font le parti – phénomène encore aggravé par les victoires aux élections locales ces dernières années. Ce poids des élus locaux sur le parti, à travers ses plus grosses fédérations notamment (les dix premières fédérations représentent la moitié des adhérents du parti), complique à la fois la représentation plus équilibrée de la société (le biais « homme blanc d’âge mûr » joue à plein) et l’élaboration d’une stratégie ou d’un programme national, le parti devenant une simple confédération logistique et financière. La démultiplication des stratégies locales d’alliance (PS seul, avec la gauche plurielle, avec le Modem, avec l’extrême-gauche…) lors des dernières élections municipales a démontré jusqu’à l’absurde cette déconnexion totale entre niveau national et échelon local – ce qui rend d’ailleurs aux yeux de l’opinion encore plus obscur le débat sur les alliances nationales du PS. Le doute s’est d’ailleurs insinué dans les têtes socialistes sur la réelle volonté (possibilité ?) d’un tel parti d’élus locaux de gagner les élections nationales ; de ne pas trop les perdre du moins puisque le financement public du parti dépend en grande partie de ses résultats nationaux. Le quinquennat a en effet encore renforcé le caractère « intermédiaire » des élections locales qui sont en général défavorables à la majorité en place. Reste la question du projet. L’absence de tout travail doctrinal depuis des années et le décalage croissant entre les clivages réels (Europe, rôle de l’Etat et régulation du capitalisme, institutions…) et les débats internes (enjeux et positionnements personnels pour la présidentielle) ont mis à mal la capacité même du PS d’élaborer un programme électoral à la fois cohérent et attractif sans parler d’un projet de société. Tout est désormais lié de la désignation d’un leader qui remettrait le parti au travail tout en le renouvelant et en lui imposant une stratégie claire. Le PS attend donc toujours, trente ans après, un nouveau François Mitterrand.
Enfin parce que la question cruciale du leadership n’a toujours pas été tranchée. Et compte tenu de ce à quoi l’on vient d’assister, on peut supposer qu’elle ne pourra l’être, si elle l’est, que dans les pires conditions – l’urgence et l’improvisation – en 2011, juste avant la présidentielle. Or les expériences récentes de 1995 et surtout de 2007 ont montré que ce n’était sans doute pas la meilleure solution. Aujourd’hui, nul n’est capable de dire qui sera candidat – en dehors de Ségolène Royal qui tire de sa position un « avantage comparatif » en termes de mobilisation partisane sur son nom – ni comment celui-ci sera désigné (primaires ou non…) ou comment le parti travaillera avec lui. Bref, la pire des situations possibles dans un environnement politique qui interdit pourtant un tel amateurisme. Le quinquennat a compressé le calendrier et renforcé encore les effets de la démocratie d’opinion : la campagne est devenue quasi-permanente. Les candidats qui ont bénéficié ou bénéficient d’une dynamique électorale présidentielle dans ces conditions sont ceux qui sont bien identifiés comme tels. Nicolas Sarkozy, François Bayrou ou Olivier Besancenot incarnent bien ces candidats adaptés à la nouvelle donne institutionnelle et électorale. On peut y voir là un indice de plus du fait qu’ils soient les vrais vainqueurs de la bataille de Reims.
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