J’ai relu récemment Pays perdu de Pierre Jourde, ou l’auteur originaire d’un petit village du Cantal décrit avec amour et nostalgie mais aussi dureté un monde paysan en voie de disparition. Dans la même veine on lira avec bonheur Ma vie parmi les ombres de Richard Millet ou celui-ci évoque son enfance au milieu du plateau des Millevaches et ce monde traditionnel appelé à disparaître.
Nostalgie, ce « mal du retour ».
Hiver. Tous les soirs on allait à la ferme de mon grand-père, à pieds, pour chercher le lait pour le lendemain matin. On savait que c’était l’heure en entendant les vaches rentrer à l’étable, leurs cloches, parfois un bruit de galop quand les chiens étaient pressants, parfois les appels du fermier, rarement en fait. L’odeur de l’étable, cette odeur de merde partout, de fumier, que j’aime retrouver et que déteste mon fils aîné. Ces vaches brunes alignées pour la traite, cette chaleur animale, cette odeur de lait frais dans le pot en alu, la proximité de ces animaux énormes pour lesquels on faisait descendre quelques bottes de paille.
Souvent quand on arrivait pour les vacances ou que l’on repartait, on picolait. Scénario immuable : après la traite, cuisine de la ferme, pièce assombrie par la fumée sur les murs, un feu qui couve, été comme hiver, l’horloge, le vieux entre la fenêtre et le radiateur en salopette bleue et charentaises qui te donne du monsieur alors que tu as douze ans, la toile cirée unique élimée, les bancs en bois qu’on tire, les verres duralex, la boite de biscuit, la bouteille de ratafia (alcool de prune peu alcoolisé, mais à jeun ça change la vie), les chiens qui suivent leur maître et se couchent sous la table. On parle parce qu’il faut parler –on vient de la ville- mais on sent bien que c’est pas leur habitude. On ne serait pas là, ils ne diraient pas trois mots. Puis avec la deuxième bouteille (hop hop, pas plus haut que le verre !), on parle de tout. Du temps, des travaux, des ruches, du cochon, des voisins, des derniers potins. Parfois les parents venaient et c’était moins bien parce que guindé. Ca rigolait moins. Puis on rentrait, il faisait nuit et froid, même bourrés.
Eté. Je faisais la récolte du miel avec mon grand père. Fallait s’habiller, se couvrir, pas trop se faire piquer. Pour moi des gants, mon grand-père, non, pas très sensible, des mains de paysan. Un masque sur le visage, une brouette pour mettre les cadres et les hausses, une sorte de fumigène artisanal avec des vieux chiffons pour étourdir les abeilles. Fallait choisir le jour, c’est-à-dire le temps. Pas orageux, les abeilles sont énervées et attaquent, pas pluvieux, elles sont à l’intérieur…
Fumée, dépose du couvercle, refumée, les abeilles disparaissent dans les profondeurs de la ruche. Faut aller vite, mais pas trop, pas de mouvement brutal, pas de peur. On enlève les cadres un à un pour les ranger sur des hausses vides, en balayant les abeilles à la surface. Puis on referme et on passe à la ruche suivante. Parfois il n’y a rien ou pas grand-chose. Puis direction la cave et l’extracteur. Un couteau d’égorgeur qui trempe dans l’eau chaude, pour enlever la pellicule de cire à la surface des alvéoles. Chaque cadre est rangé dans la machine. Odeur extraordinaire de miel frais. Orgie. Puis ça tourne une heure, on ouvre le robinet à la base et on remplit des pots en filtrant le miel blond. La routine.
Printemps. On savait comment faire pour les choper, les salopes. Un bout de tissu rouge au bout d’une ligne, une mare si possible avec nénuphars, on lance, on attend le plouf, on tire. Une grenouille verte qui gigote. Hop dans le panier. En fallait une bonne trentaine pour bien faire. Puis c’était mon oncle qui officiait. J’aime pas peler les grenouilles à vif. Suis à peu prés persuadé qu’elles ont mal. Mais bon. On prépare les nasses, on met les infortunés batraciens au fond et direction la rivière, à la nuit. Faut connaître les coins, savoirs ou accrocher les nasses. On se répartissait la rivière. Moi en amont, lui en aval (fatigué). Puis on rentre. Lendemain matin, avant le jour, au bord de la rivière. Faut sinon tu peux te faire gauler tes nasses par un salaud, c’est pas ce qui manque à la campagne. Des nasses pleines qui bruissent et grouillent d’écrevisses noires. Mais rouges dans l’assiette. Un coup de blanc. Que du bonheur, comme dit l’autre con.
Voila.