Si tu crois qu’un poète est un sculpteur de vers
Qui choisit sa matière au hasard du moment,
Et plus souvent l’or fin, tu as tout à l’envers :
Le poète est un chien signant ses excréments.
Si tu crois qu’un poète est un peintre d’oiseaux,
De fleurs et lieux communs, limité à ces thèmes
Pour mériter son titre, oublie les traits du zoo :
N’importe quel sujet peut sortir d’un poème.
Si tu crois qu’un poète est un pur musicien
Ecoutant chaque note et mesurant d’abord,
Prends garde à l’écrivain au pas de technicien :
Son pied chaussé de règle est pour ceux qu’il abhorre.
Peu importe la rime et le style employés,
La prosodie, l’école, il se situe lui-même
Et choisit sa contrainte afin de déployer
Son regard sur le monde à travers ses phonèmes.
Les mots plats, surannés : de charmant à joli,
N’ont pas lieu d’exister dans sa langue nouvelle,
Ni le terme vieillot, ni le verbe poli,
Car le poète invente au fond de sa poubelle.
Et s’il s’abaisse un jour à recevoir un prix,
A se voir décoré de fleurs et de ferraille,
C’est qu’il a faim d’amour, de pain. Ainsi flétrit
La couleur de son encre au soleil des médailles.
Pour ce frère impatient qui a reçu l’aumône
Des corrupteurs concours de banquiers rotariens,
D’autres, nus, versifient, continuent, s’époumonent
A défendre notre art, et ne cèderont rien !
Profession de foi suite à des prix cordialement refusés.
Y.Y. in Poèmes ignobles, contre une poésie de l’ennui et de la bienséance (La gouttière, 2005)
http://www.youlountas.net/spip.php?article79