La langue française jouit d’un triste privilège, révélateur de l’état d’esprit propre à ses locuteurs. Elle est la
Haïr les jeunes
La France vomit sa jeunesse, la chose n’est pas nouvelle. Elle la méprise, construisant sur son dos une dette astronomique, lui préparant un avenir professionnel d’esclavage, souhaitant pour elle des conditions de vie que jamais ses aînés n’auraient acceptées.
Une génération de septuagénaires ayant connu des possibilités dont leurs enfants et leurs petits enfants seront à jamais privés donnent à présent des leçons d’ascèce et de résignation à ceux qu’ils envoient “se former”, en stages non-rémunérés bien sûr, sous la houlette de cadres dont ils sont séparés par quelques dizaines d’années de vie en mois et autant d’années d’étude en plus.
Alors que dans toute autre langue, “jeune” résonne comme avenir, dynamisme et énergie, la pourriture mentale typiquement française est parvenu à modifier le sémantisme d’un mot pourtant simple, et à faire entendre derrière lui: musique trop forte, bière chaude, paresse, volonté de profiter, insultes, délits, crimes, viols, bandes, maltraitance des petites vieilles et des caniches sans défense, portes envoyées dans le dentier etc. Et la France s’est mise à installer des boîtiers anti-jeunes, répulsifs sonores permettant de chasser les moins de 25 ans comme des moustiques, des rongeurs ou des chiens.
La France est en passe de devenir une ploutocratie. N’oublions pas qu’elle est, depuis longtemps, une gérontocratie. Et que depuis toujours, elle a eu le réflexe, à chaque fois qu’elle se sentait menacée, ne comprenait plus rien au monde qui l’entourait et commençait à faire dans son froc, de courir se réfugier sous la barbe d’un vieillard.
Allons, allons, me dit le sarkozyste béat, Notre Président, Nicolas Sarkozy, est le plus jeune de nos présidents élus! Foutaises. C’est simplement qu’il a su se rendre vieux avant l’heure! Sarkozy, c’est un jeune qui pense, agit et réagit comme un vieux, un réactionnaire pré-pompidolien maquillé en jeune cadre et marié à une femme-enfant, les diplômes et le gras du bide en moins (quoi que, pour le gras…). D’où sa transformation en vedette d’une France intellectuellement vieillie (et souvent avant l’âge), où il peut être applaudi chaque soir par une population hypnotisée par Téléplouk et par la peur des Arabes.
Encore une louche de populisme
Bon, la chose n’est pas encore faite. Il s’agit simplement, pour l’heure, d’une préconisation déféquée par une “commission de réflexion”. Pour toucher leur (substantiels) jetons de présence, les membres de cet Aréopage éclairé -présidé par le Professeur Varinard (de la bien connue Université Lyon III), éternel fanal de l’intelligence humaine et du droit pénal- ont tout simplement repris à leur compte l’ambiance générale et ont eux aussi compris que jeune, avant de vouloir dire “en construction”, signifiait “délinquant”. Que seul comptait le résultat (la délinquance) et pas les conditions qui l’avait produit. Et que, les politiques éducatives coûtant cher, le plus simple était de coller tout le monde au ballon. Chantez maisons de retraite! Alors que la délinquance juvénile diminue (la part des mineurs mis en cause est passée de 22% en 1998 à 18% en 2007, n’en déplaise à notre autotélique Dati), on va casser du jeune pour soulager votre trouille!
Car cette nouvelle conception de la responsabilité pénale s’accompagne évidemment d’une possibilité d’incarcération dès 14 ans, ramenée à 12 ans en matière criminelle. On se demande quels magistrats Rachida Dati pourra convoquer à minuit lorsqu’il s’agira de faire oublier le suicide d’un enfant de 13 ans incarcéré…
L’inné et l’acquis
L’essentiel n’est pas là, mais dans la logique profonde que traduit cette orientation nouvelle. Il n’y a plus qu’à l’accepter: le sarkozysme a pénétré les esprits. L’homme qui déclarait, lorsqu’il était en campagne, la primauté du génôme et de l’inné sur l’acquis a réussi à imposer ses vues. Anti-Lyssenko concocté spécialement pour vous dans les marmites sordides du poujadisme et du Café du Commerce, Nicolas Sarkozy, l’homme qui voulait détecter les délinquants dans les écoles dès 5 ans, va maintenant les coffrer dès 12 ans. L’éducation, l’évolution, l’apprentissage, tout cela n’existe plus. D’ailleurs, on a déjà interdit que les éducateurs spécialisés de la PJJ (du moins à ceux qui restent après les réductions de poste) aillent s’occuper de ceux qui n’ont pas encore commis de délit. Pourquoi prévenir? Ce qui compte désormais, c’est la nature, elle qui gouverne tout et que nul ne peut faire évoluer.
C’est pratique la nature. C’est facilement compréhensible même par ceux à qui leur myéline ne donne accès qu’au bas-débit cérébral.
Et ce qui est formidable, c’est que le principe peut être décliné à l’infini. Il y a des gens que la bourse la nature a fait riches, d’autres pauvres. Les seconds (les pauvres donc), il faut les lai-sser-cre-ver. Ou encore: Il y a des gens que la nature a fait intelligents, d’autres cons. Les seconds (les cons), il-est-inu-ti-le-de-les-édu-quer. Virons 13900 profs l’année prochaine, les élus de la nature s’en sortiront
Si la porcherie mentale du sarkozysme faisait place à la culture antique, on pourrait dire que Sarkozy et sa clique reprennent à leur compte les arguments de Thrasymaque lorsqu’il s’oppose à Socrate au livre I de La République de Platon.
Hélas, ce qui se joue là est moins une réminiscence de la pensée sophistique qu’une sorte de reflux acide de la vieille tradition vitaliste et naturaliste de notre bonne vieille extrême-droite.
Heureusement, au moment même où cette tradition pousse à pénaliser la délinquance juvénile, elle n’interdit pas de préparer la dépénalisation de la grande délinquance financière. On respire. Vous imaginez le drame? Un patron ayant simplement collé des milliers de personne au chômage par une liquidation frauduleuse aurait pu être maltraité en cellule par un voleur de téléphone portable de 13 ans!
Salauds de jeunes!