Discriminations raciales… ou difficultés d’adaptation ?

Publié le 29 novembre 2008 par Roman Bernard
Cette lettre d'opinion paraîtra le lundi 1er décembre dans La Rotonde, le journal francophone de l'Université d'Ottawa.
Je voudrais réagir au rapport du Centre de recours étudiant (CRÉ) publié le 12 novembre dernier et dont La Rotonde a rendu compte dans ses éditions des 17 et 24 novembre. Ce rapport établit que 70% des étudiants faisant appel au CRÉ lorsqu’ils sont accusés de fraude par l’Université sont issus des minorités visibles. Les rapporteurs en concluent – hâtivement – que cela s’expliquerait par le «racisme systémique» qui prévaudrait à l’Université canadienne.
Je voudrais contester cette interprétation des faits à la lumière de ma propre expérience. Terminant en 2005/2006 une licence – l’équivalent français du baccalauréat – d’histoire, j’ai eu la chance de pouvoir réaliser cette dernière année en échange à l’Université d’Ottawa. Si je ne faisais pas partie d’une minorité visible, je faisais en tout cas partie d’une minorité audible, étant francophone dans une Université où les étudiants sont anglophones aux deux tiers.
Que mes amis francophones m’en pardonnent, j’avais choisi de prendre tous mes cours d’histoire en anglais, afin d’améliorer mon niveau dans ma «langue seconde». Ce choix constituait un apport considérable à mon cursus, mais nécessitait de ma part un plus grand effort d’écoute et d’expression orale en cours, puis de lecture et d’écriture à la maison.
Surtout, ce que je ne savais pas avant de partir, c’est que chaque information présente dans mes travaux devait être rigoureusement référencée, par une note de bas de page indiquant l’ouvrage dont elle était issue. En France, une telle pratique n’apparaît pas avant la maîtrise.
Jusqu’à la fin de la licence, les travaux consistent en des dissertations, où l’enseignant, lorsqu’il corrige les copies, considère que les informations fournies par l’étudiant relèvent des connaissances communes à tous les étudiants qui ont suivi son cours. Au Canada, les enseignants considèrent que l’étudiant, dès le début de son cursus, doit apprendre à travailler comme un chercheur. Cette exigence est formatrice pour les étudiants, même si elle donne souvent lieu à des excès : certaines informations relèvent en effet de la culture générale, et ne devraient pas, à mon sens du moins, avoir à être référencées par une note de bas de page.
N’étant pas au courant de cette exigence, j’ai donc eu mon premier ennui dès le mois de novembre, avec un message catastrophé, sur mon répondeur, du Docteur Mark Stolarik, dans l’enseignement « The Slovaks and their Neighbours in Central Europe to 1780 ». Cet enseignant m’a demandé, pour prouver que je n’avais plagié aucun auteur, de lui rendre le même travail dûment référencé, dans un délai très court, sans quoi il eût été contraint de me faire échouer à ce travail, et donc au semestre. Évidemment, nul racisme ni même xénophobie dans cet avertissement : M. Stolarik est francophile, et m’a souvent demandé, lors des cours, des précisions sur l’histoire de France, qui semblait le passionner au plus haut point. Il était d’ailleurs au courant que les exigences académiques n’étaient pas les mêmes de part et d’autre de l’Atlantique. J’ai refait le travail en citant mes sources, et le problème a été aussitôt réglé.
Ce que je veux dire, pour avoir été un immigrant, même temporaire, au Canada, c’est qu’il ne faut pas nécessairement interpréter le fait que la grande majorité des étudiants accusés de plagiat sont issus des minorités visibles comme la preuve d’un quelconque racisme. Ces étudiants, issus de l’immigration pour la plupart, arrivent, comme moi il y a trois ans, avec des pratiques académiques différentes, qui peuvent les faire accuser de fraude là où il n’y en a pas. Il faut davantage parler de difficultés d’adaptation, fatales pour des étudiants étrangers.
Roman Bernard

Criticus est membre du Réseau LHC.