Avec Say You Will, le disque débute en grandes pompes. Comme sur son précédent effort, Kanye ouvre les hostilités après quelques secondes seulement : ce que l'on pense ne caractériser qu'un contrepoint accueille “Why would she make calls out the blue ? Now I'm awake, sleep isn't you”, enclenché sur un refrain à tort deviné exalté d'une ligne de basses solennelle ; dérouté, on hésite entre génie créatif et suicide artistique puis réalise rapidement que la réponse se trouve dans l'interrogation. Pas l'ombre d'une boîte à rythmes sur les six minutes révolues du morceau, tout juste celle d'une caisse claire troquée contre un sonar et une batterie tribale lente, en permanence surélevée par des choeurs lointains. West, qui révèlera son étonnante maturité au chant le long des onze pistes s'intègre sans accroche à la musique, qu'il (dé)laisse finalement s'épanouir deux minutes durant. Un accord de violon enténèbre brutalement le beat et transite vers un second morceau qui le syncopera rapidement, organique, régulier et puissant. Plus rapide et incisif, le mal-aimé délivre un couplet d'ouverture proche du rap si bien dans le son que dans l'esprit : “My friend showed my pictures of his kids / And all I could show him was pictures of my cribs […]”. C'est au refrain que l'on réalise qu'un enregistrement si intimiste aurait du rester personnel : la voix de Kid Cudi, pourtant moins filtrée que celle de l'auteur, résonne dans ce même creux qu'elle crée. Un constat qui se réitérera à l'égard de deux des trois autres invités, à savoir le calamiteux et cabotin Young Jeezy, et un anonyme Mr. Hudson qui enfoncera de par sa prestation façon europop sur Paranoïd cette escapade electro déjà regrettable ; Lil Wayne faisant figure d'exception à travers sa performance sur See You In My Nightmares (ce type est officiellement une rockstar), où 'Ye entre d'ailleurs dans ses derniers retranchements, ce qui m'emmène naturellement à parler de sa portée vocale.
Là où l'on n'attendait clairement rien de West, c'est incontestablement au niveau des performances vocales ; je me souviens de Nicolay qui à l'occasion de la sortie du second Foreign Exchange s'était gargarisé du talent (indéniable, certes) de Phonte au chant, illustrant ainsi la supposée nuance entre un artiste qui chante et un artiste capable de chanter. Quelle baffe, mon dieu. Ecoutez le murmurer, l'autotune puissance maximale accentuant les aspérités de sa voix sur Bad News, c'est fabuleux ! Ecoutez l'impassible de sa retenue tandis que l'instrumental s'emballe et que le vocoder n'en peut plus d'électriser sur Street Lights, écoutez l'alternance douceur/véhémence superposée à celle des percussions, légères et incessantes ou bien farouches et tribales sur Coldest Winter… sa rage évoque un peu Dylan, quitte à faire des comparaisons. Je déteste détailler les albums piste par piste, surtout ceux qui déconcertent un tant soit peu et vais donc conclure ma chronique sur un éloge, parce que les imperfections qu'808s & Heartbreak hébergent ne rendent, à l'instar de celles de son auteur, que ses meilleurs moments plus rayonnants encore. Tant que West restera ce paradoxe du timide extraverti, ce type qui en un an passe de “You cut me deep bitch, cut me like surgery / And I was too proud to admit that it was hurting me” à “All the street lights glowing happen to be just like moments passing in front of me”, il pourra continuer à appeler Big Brother cet autre qui, il y a douze ans, prophétisait “We don't just shine, we illuminate the whole show”.