Concert hors norme lundi soir 24 novembre à Pleyel. Le Gospel de Nouvelle Orléans rencontre le chant sacré soufi.
En première partie, Craig Adams, pianiste (et organiste) saisissant de charisme, inonde la salle d'airs Gospel avec son ensemble (un batteur, un bassiste avec quatre chanteurs, trois femmes et un homme). Les amplis sont à fond et la salle bat des mains au rythme effréné de l'ensemble qui l'emporte avec eux dans leur chant exalté à la gloire du Seigneur tout puissant ! L'ambiance est festive, cadencée par un boogie incroyablement énergique. Cet homme imposant et énergique arrache du piano des sonorités qui claquent et chauffent très rapidement la salle.
Un moment d'une intensité rare, le solo de Craig Adams à l'orgue, qui, part crescendo dans des circonvolutions harmoniques démentes, avec des notes prolongées à l'infini et un vibrato à donner le frisson. Il atteint une forme d'extase, exprimant l'intensité de sa dévotion.En seconde partie, l'ensemble de Craig Adams s'eclipse pour laisser la place à l'ensemble de Faiz Ali Faiz pour un moment extraordinaire de chants Qawwalî. Faiz Ali Faiz est le digne héritier de feu l'immense Nusrat Fateh Ali Khan, que j'avais découvert il y a près de vingt ans dans un reportage TV et dont j'avais écouté un disque en boucle (Nusrat Fateh Ali Khan en concert à Paris / label Ocora - Harmonia Mundi - Radio France - 1988 - volumes 1 à 3). Ce chant traditionnel, très répandu au Pakistan et en Inde, est rattaché au culte islamique soufi (lien vers l'excellent article de Wikipedia détaille le structure type d'un chant soufi). Assez codé, il se caractérise par une montée progressive en intensité de la traduction des versets, avec l'alternance de passages où les solistes déploient des vocalises d'une étourdissante virtuosité, avec de moments de chants collectifs très rythmés et surtout, dont la structure "circulaire" a un caractère particulièrement hypnotique.
Avec également beaucoup de charisme, Faiz Ali Faiz fait preuve d'une virtuosité incroyable, accompagnant ses différents inflexions vocales d'une gestuelle très expressive et captivante. Sa maîtrise du souffle, avec des phrasés quelquefois aussi longs que les harmoniums qui l'accompagnent, est sidérante.
Le summum de la soirée est la troisième partie, moment intense et surprenant de "cross-over" où
l'ensemble de Gospel et celui de Qawwalî s'assemblent pour interpréter trois airs avec des improvisations que l'on ne pouvait même pas imaginer.Quelques points communs tout de même : le Gospel comme le chant soufi se rattachent bien à une musique sacrée, expressive et guidée par une forme d'exaltation de la foi. L'un comme l'autre, répond à un rituel, à une trame dont l'objectif est à un moment, d'atteindre une plénitude absolue avec, à un moment, un bouclage permanent sur un même thème ; encore cette musique hypnotique qui s'étend en spirale, gagnant progressivement en intensité.
Craig Adams et Faiz Ali Faiz alternent alors des solos dans leur propre style tout en prenant le contrôle de transitions inimaginables du Gospel au Qawwalî, et inversement, par l'intermédiaire de leurs chœurs respectifs. Un grand moment de partage et d'échange qui a tout naturellement emporté et ému la salle.
Autre caractéristique notable de ce concert : une moyenne d'âge dans la salle largement inférieure à celle du public habituel de Pleyel, une diversité de publics assez rafraîchissante et une ambiance assez débridée.
Superbe initiative à renouveler.
Pour vous permettre d'imaginer la croisée des chemins possible entre le Gospel et le chant soufi, quelques petites collectes sur youtube : l'extrait d'un concert de Craig Adams, un chant soufi interprété par le maître Nusrat Fateh Ali Khan, un autre chant soufi par Faiz Ali Faiz.
Bonne écoute.