Harwan est l'étudiant d'une trentaine d'année qui cherche une conclusion à sa thèse sur « le cadre comme espace identitaire dans les solos de Robert Lepage ». Il est aussi l'amoureux qui a été repoussé, le jeune homme qui hésite devant son avenir, le fils qui s'émancipe et ne s'émancipe pas d'un père sacrifié, le frère qui partage avec sa soeur l'absence d'une mère... Mais Harwan est également celui qu'il n'est plus, un enfant né au Liban, un enfant qui parlait l'arabe, un enfant qui mettait en place des stratégies pour compter les étoiles dans le ciel, un enfant qui aimait les couleurs. Cet enfant qui a connu la guerre et puis l'exil.
Que s'est-il passé ? Pourquoi Harwan ne se souvient pas de la guerre ? Pourquoi lui qui aimait tant les couleurs ne peut-il désormais envisager qu'un mur blanc ? Pourquoi cet enfant qui avait l'ambition de devenir une étoile filante pour sauver le monde se consacre maintenant à devenir professeur à l'université ? Qu'est-il arrivé entre le moment où il parlait l'arabe et celui où il s'est mis à parler français ? Qu'a-t-il dilapidé des biens de son père, ce fils prodigue, et comment retourner auprès de lui, c'est-à-dire revenir à soi-même ? Comment le déraciné peut-il renouer avec ses racines ?
C'est à la quête ce cette part de soi qui s'est perdue sur le chemin de l'exil que nous convie Wajdi Mouawad. Seul en scène, il nous fait parcourir les multiples solitudes de son personnage, à travers l'espace et le temps, à travers lui-même dans un voyage essentiellement intérieur où quand les mots cesseront de tenter de dire il deviendra possible de ressentir et de renaître à soi-même.
Comme souvent, Wajdi Mouawad en fait trop, mais "en faire trop" est la vocation première du théâtre : donner à voir la comédie humaine en ce qu'elle a de trop et qu'elle s'efforce de dissimuler : le tragique de l'existence, nos solitudes qui s'ignorent ou se cherchent. Un magistral spectacle du vivant.
Source : Seuls, de Wajdi Mouawad