ans le blog philo du Monde, je tombe sur cet article Les cyclopes du savoir, dont les commentaires nombreux s’éloignent certes du sujet, mais renseignent sur le rapport que peut entretenir la société et les scientifiques et se rapprochent de mes préoccupations, ce qui fait dire à certains que j’aime pas la science, tant j’ai la critique facile (tout en sachant que ce blog sert à ça). Tout expert est supposé, par sa suffisance, manquer de courtoisie. Kant est appelé à la rescousse. Il nomme les experts qui auraient une attitude à ne pas accepter la critique d’autrui des cyclopes : « Non parce qu’ils sont très forts, mais parce qu’il leur manque un oeil. Spécialistes de leur objet, ils jugent en effet superflue toute réflexion venue de l’extérieur. »
Je suis absolument certain que la pratique de la vulgarisation intéresse les experts, car elle permet de « travailler » leur langage, d’éviter cette maladie de la vision. Outre une dimension politique de la vulgarisation, je pense qu’un chercheur a une raison personnelle pour vulgariser. Cette raison est d’ailleurs jugée comme bénéfique par la société elle même et par les chercheurs. Et, pour avoir pratiqué, c’est également mon sentiment.
Mais … quel que soit la matière qui est vulgarisée, et quoi qu’on fasse, il reste toujours cette distance qui perdure entre expert et néophyte, entre savant et ignorant. Pourrait-il être le plus simple, le plus accessible, le plus drôle, le plus à l’écoute, le plus …, le meilleur des vulgarisateurs, cette distance ne s’effacerait pas. Que les chercheurs dont la compagne n’est pas scientifique me contredisent !!
C’est que le rapport au savoir s’accompagne d’un rapport au pédagogique, à l’apprentissage, quasi obligatoire. Après tout, un expert a d’abord appris, intégré, compris, puis réexprimé. Chaque partie de son savoir est l’objet d’une lente maturation passant par un (long) parcours d’apprentissage. Pour lui, le savoir et l’apprentissage sont liés.
Préparer un doctorat, effectuer un stage post-doctoral, devenir chercheur, autant d’étapes qui raffermissent jour après jour le lien personnel qu’entretient le chercheur enseignant avec son sujet : toujours apprendre. La retranscription de son savoir le rend enseignant, expert, et ce lien devient alors à double sens. Et ce rapport à la pédagogie ET à la production de savoir, à une discipline scientifique, est encore perçu comme positif : même si le salaire n’est pas à la hauteur, le double rôle d’enseignant et de chercheur est une plus value appréciable pour le chercheur et l’apprenant. Là encore, je ne disconviens pas.
En fait, à des stades divers, toute profession dont la base est scientifique procède du même rapport au savoir. Ma cousine généraliste me racontait dernièrement que lors d’un repas entre amis, il lui était resservi la fameuse tarte à la crème du médecin hautain et sans respect pour ses patients, ne parlant pas, ou parlant un langage expert peu compréhensible, puis « enseignant » à son patient de façon trop compassionnelle. Ce rapport est malheureusement compris de façon beaucoup trop systématique. Le pire dans l’histoire est que tous les médecins (ma cousine parlait de « tarte à la crème pour cette raison) n’ont de loin pas cette impression, et tentent d’ouvrir leur discours, mais ça ne fonctionne pas. Pauvres experts, cyclopes obligés par leur discipline.
Ainsi, c’est le rapport des chercheurs à la pédagogie, quasi obligée parce qu’ils sont experts, qui tantôt leur apportent lauriers par leur choix positif de partager avec les autres leur savoir, tantôt les privent d’un rapport plus commun avec ses semblables. Je compatis !