C'était demain. Sir Milkway aimait quand on le définissait comme un sage moderne. Quand on l'écoutait, il expliquait longuement qu'il devait sa sagesse aux années crise :
Il ajoutait qu'avoir perdu son boulot, son statut social, son pouvoir à soigner son mal être en achetant de l'inutile et du superflu lui avait permis de commencer à gagner sa vie et non plus uniquement de l'argent. Sir Milkway médiatisa son revers de médaille avec tant de brio qu'il devint le gourou de tous ceux très nombreux qui, à cause du cataclysme économique, ont perdu leurs privilèges. Ils leurs racontaient que leur descente aux enfer était leur chance car elle mettait fin à un édulcorant de vie et plus précisément à une vie Canada dry qui avait l'odeur, le goût de la vie mais n'en était pas une. En prime, comme la fin d'une histoire marque toujours le début d'une autre, ils pouvaient maintenant s'appuyer sur leurs richesses intérieures pour s'inventer des lendemains plus généreux et souriants.
Ces bonnes paroles ne suffisaient pas toujours. Lou Déstepes, un de ses anciens collègues, en demandait plus quand il vint le voir :
Cet échange interloqua Lou qui ne comprenait vraiment pas où son ami voulait en venir. Après quelques saltos neuronaux, il comprit que la création d'une monnaie était un moyen d'améliorer le troc. Il suffisait d'avoir la confiance d'un groupe de pairs pour que cela fonctionne.
Lou créa sans attendre le Déstepes. Quelques temps plus tard, il avait de nouveau une assiette remplie, un appartement et ne tuait plus le temps. Il prit néanmoins le temps d'aller remercier son ami et lui demanda ce qu'il désirait :
Lou raconta son histoire tant et si bien que quelques jours plus tard, Nina frappa à la porte de Sir Milkway en lui demandant de l'aider à créer une monnaie bio. Elle était vendeuses de fruits et légumes bio et désirait que tous les fournisseurs et intermédiaire respectent la chartre de l'alimentation responsable. Avec une monnaie, on pouvait créer un lien qui permettait à chacun de garantir l'autre.
Ce principe séduisit les artistes. Nombreuses furent les communautés qui créèrent leur monnaie. Avec Internet et la numérisation permettant la duplication à l'infini, les donnes économiques avaient changé. Résultat, il avaient un mal fou à trouver un modèle économique viable quand l'on respectait les paradigmes de l'ancienne économie.
Dans la foulée, les collectionneurs de timbres voulurent leur monnaie. Ils n'échangeaient qu'entre eux et pensaient qu'une monnaie adaptée à leurs échanges dynamiserait leurs réseaux.
C'est ainsi que des dizaines, des centaines, des milliers de monnaies furent créées. Comme la demande de pourcentage de Sir Milkway était respectée par tous les créateurs de monnaie, ce dernier reçut des Déstepes, Stamps, Musicors, Biobons et autres monnaies au nom exotique.
Un jour, alors qu'il voulait acheter un nouveau manteau à sa fille, il découvrit qu'il ne pouvait pas le faire car aucune des monnaies créées ne le permettait. Il se désespéra et en parla à un ami qui sortait de la cuisse de Jupiter ou plutôt d'une de ces écoles qui donnent l'impression qu'il en est ainsi.
Après mure réflexion, l'énarque, car cela en était un, lui annonça qu'il avait la solution : il devait créer une monnaie sur lequel les autres monnaies seraient indexées et qui permettraient d'effectuer le change.
Le Milkway fut créé pour le meilleur et surtout pour le pire. Quand les adeptes des différentes monnaies commencèrent à payer des produits biologiques en Musicors, acheter des timbres avec des Biobons, la confiance s'effrita. L'utilisation des différentes monnaies ayant perdu leur sens, la spéculation s'installa. Dans l'espoir de gagner le jackpot, certains thésaurisèrent, les échanges s'appauvrirent et les possesseurs des différentes monnaies aussi.
Un mois après la création de la monnaie, Lou Déstepes s'introduisit dans l'appartement de Sir Milkway alors que son ami dormait. Il s'assit dans un fauteuil et réveilla son ancien copain en disant :
A cet instant, l'homme souffrait d'une profonde normalité qui se traduisait par le fait qu'il n'appréciait guère de se faire réveiller en pleine nuit par un prétendu ami qui lui braquait un revolver.
Sir Milkway jeta une série de mots dans l'espoir que Lou comprenne que s'il était coupable, ce n'était pas de sa faute. Son seul tort est de n'avoir pas écouté la bonne personne.
Comme dans l'affaire Lou avait même perdu jusqu'à sa précieuse capacité à écouter, il tira.
Sir Milkway mourut de peur, mais s'en remit vite car Lou avait également perdu son art de viser juste. Depuis, Sir Milkway est un sage très moderne, car il a compris que parfois une solution peut créer un problème plus grand que celui qu'il veut résoudre.
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