Il a eu une existence riche de tous les bouleversements du 20ème siècle, né le 28 novembre 1908. En 1914, pour vous faire une idée, il avait déjà 6 ans ! Après le lycée Janson de Sailly à Paris et une licence en droit en Sorbonne, il passe l’agrégation de philosophie en 1931. Il n’enseigne que deux ans, aimant peu les ados – plus cœur que tête - et postule au Brésil. Il enseigne à l’université de Sào Paulo de 1935 à 1938 et dirige plusieurs missions ethnographiques dans le Mato Grosso et en Amazonie. Mobilisé en 1939, il quitte la France après l’armistice pour les États-Unis où il enseigne à la New School for Social Research de New York. Engagé volontaire dans les Forces françaises libres, il est affecté à la mission scientifique française aux États-Unis avant de devenir en 1945 conseiller culturel près l’ambassade. Il choisi de devenir sous-directeur du musée de l’Homme en 1949, puis directeur d’études à l’École pratique des hautes études, chaire des religions comparées des peuples sans écriture. Il est nommé professeur au Collège de France, chaire d’anthropologie sociale, de 1959 à 1982. Il remplace Henry de Montherlant à l’Académie française, le 24 mai 1973.


‘De près’ car il faut aimer et connaître ; ‘De loin’ car il faut du recul pour penser. Claude Lévi-Strauss est un homme de cabinet qui hait l’inconfort des expéditions et la séduction du rythme et de la couleur. Grosse tête et petit corps, il est volonté de pensée pure, bricoleur de concepts. Il est bien loin des ‘intellos’ qui croient penser seulement parce qu’ils passent à la télé. Lévi-Strauss reste dans la tradition culturelle académique : un esprit flottant au-dessus des eaux. 1968 est passé par là mais lui (déjà 60 ans cette année-là) n’y voit que la conséquence de la longue dégradation de l’université, voire de la pensée même. Un univers est mort : le sien. On s’attend avec ironie à la litanie des encensements, du barouf médiatique en faveur d’un centenaire, alors que ledit centenaire ne serait pas lui-même s’il ne honnissait pas tout ce qui ressemble au laisser-aller et à la pansexualité post-68…



On n’échappe pas à son époque. « La pensée de Freud a joué un rôle capital dans ma formation intellectuelle ; au même titre que celle de Marx. Elle m’apprenait que les phénomènes en apparence les plus illogiques pouvaient être justiciables d’une analyse rationnelle. Vis-à-vis des idéologies (phénomènes collectifs au lieu d’individuels, mais aussi d’essence irrationnelle), la démarche de Marx me paraissait comparable : en deçà des apparences, atteindre un fondement cohérent d’un point de vue logique » p.151. Lévi-Strauss cherchera les invariants de l’esprit humain, ces « structures » dont on fera le Structuralisme. Mais il se détache du Modèle trop théorique sur la fin de sa vie, son choix d’œuvres pour la Pléiade en témoigne : plutôt le réel que le rationnel. Il manifeste surtout un « respect de l’histoire, le goût que j’éprouve pour elle », qui provient « du sentiment qu’elle me donne, qu’aucune construction de l’esprit ne peut remplacer la façon imprévisible dont les choses se sont réellement passées. L’événement dans sa contingence m’apparaît comme une donnée irréductible » p.175 Observer l’illogique pour le rationaliser, telle est la démarche du penseur. « J’estime que mon autorité intellectuelle (…) repose sur la somme de travail, sur les scrupules de rigueur et d’exactitude qui font que, dans des domaines limités, j’ai peut-être acquis le droit qu’on m’écoute », p.219 Le contraire, on le voit, de ces intellos impérieux à la Bourdieu et autres, qui profitent de leur notoriété pour juger de tout et « prendre position » morale sur le théâtre médiatique.
D’où l’agacement manifeste de Lévi-Strauss envers les poncifs d’époque : mai 68, Foucault, Lacan, le Racisme (avec grand ‘R’) : « Un étalage périodique de bons sentiments en ce dernier domaine ne saurait suffire. Il faut réfléchir à ce qui est et à ce qu’on veut. Rien n’est en noir et blanc, pas plus le racisme qu’autre chose. Justement, c’est la différence des cultures qui rend leur rencontre fécondes. Il est souhaitable que les cultures se maintiennent diverses » p.207 Car « le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui », dit-il encore sur la fin de ‘Tristes tropiques’. Pour rabaisser le caquet des intellos-médiatiques.
Longue vue et vieille sagesse, Claude Lévi-Strauss est ce type intellectuel conscient que sa pensée est outil, et pas ‘Parole de Dieu’. Archaïque ? Certes, dans cette société du spectacle où le narcissisme a remplacé le travail et où l’esbroufe tient lieu de réflexion. Au fond, cent ans, c’est peu et l’on s’étonne qu’un tel sympathique fossile soit encore parmi nous. Les médiatiques qui sont déjà en train d’en faire un Evénement vont-ils comprendre cet homme remarquable, ou le faire servir leur zapping du spectacle ?
Les œuvres de Claude Lévi-Strauss sont souvent ardues, notamment ses livres structuralistes sur les mythes. Plus accessibles sont les ouvrages suivants :
- Tristes tropiques , 1955, brassant l’histoire, la philosophie, la littérature et la musique sous le couvert de raconter ses voyages d’étude ethnologiques en Amérique latine et au Pakistan, Pocket-Terre Humaine 2001, 6.84€
- La pensée sauvage , 1990, Pocket Agora, 6.84€
- Race et histoire , 1952, Folio 127p. 6.65€
- De près et de loin, entretiens avec Didier Eribon , 1988, Odile Jacob rééd. 2008, 19.95€
- Ses ‘Œuvres’ dans la Pléiade , 2008, sont une sélection choisie par lui. 1 volume de 2128 pages qui rassemble ‘Tristes tropiques’, ‘Le totémisme aujourd’hui’, ‘La pensée sauvage’, ‘La voie des masques’, ‘La potière jalouse’, ‘Histoire de lynx’, Regarder écouter lire’, des inédits et un entretien. Somptueux pour 67.45€ ! Guère plus cher que les volumes séparés.
- Catherine Clément a commis un Que sais-je ? intitulé ‘Claude Lévi-Strauss’ , 2003, 127 p. 7.60€