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Le Moulin sur la Floss

Par Madame Charlotte

Auteur : George Eliot
1ère édition : 1860
Ma note :

Quatrième de couverture :
Ce sommet de l’histoire du roman anglais (qui en compte d’ailleurs beaucoup) date de 1860. Le thème principal en est l’amour tragique entre un frère et une sueur, qui se brouillent de longues années pour se réconcilier dans la mort. Entre-temps, la jeune fille a été amoureuse d’un infirme, puis du fiancé de sa cousine : mal lui en prendra.

Le meilleur du livre est dans la peinture poétique de l’existence quotidienne la plus humble, dans « le sentiment de la question mystérieuse de la vie humaine et de la vie de la nature, des mystères sublimes auxquels nous participons en le sachant aussi peu que la fleur qui pousse » (Marcel Proust). On aimera ainsi « la nouveauté des images venant d’une vue tendre et neuve des choses ».

Mon avis :Le Moulin sur la Floss, datant de 1860, porte sur le début du XIXème siècle, à l’époque où Victoria n’était pas encore souveraine d’Angleterre. A travers le destin d’une famille, et en particulier de l’histoire d’un frère et d’une sœur, Tom et Maggie Tulliver, il nous conte le bouleversement que le monde anglais est en train de connaître. L’ère où la vapeur accélère tout, précipite des familles dans la faillite, en porte d’autres vers la prospérité. L’auteur semble se plaire à nous rappeler qu’à ce temps-là, les mentalités étaient différentes, et qu’une fortune se construisait petit à petit, au fil des générations. C’est bien ce qui s’est passé chez les Tulliver, qui vivent dans le moulin de Dorlcote depuis des générations. Nous suivons les jeunes années des deux petits derniers : Tom, petit garçon au grand sens de la justice et Maggie, jeune demoiselle de son temps, tiraillée entre les saillies de son caractère et la soumission qu’on lui demande.

Le premier attrait du Moulin sur la Floss a été, pour moi du moins, un attrait socio-historique : tout en peignant avec une certaine habileté la vie provinciale et campagnarde en Angleterre, George Eliot expose aussi, point par point, les différences fondamentales entre être un homme et être une femme dans la société telle qu’elle existait à l’époque. C’est particulièrement flagrant dans toute la partie qui concerne l’enfance où le frère clame haut et fort devant sa sœur sa fierté d’être un garçon , n’hésitant pas à la juger sévèrement et à la punir, en vertu d’une justice dont il croit être le seul représentant. Cependant, le déroulement des évènements nous fait voir en Maggie un personnage plus intelligent et plus ouvert aux sentiments des autres. Cette jeune fille de papier est un personnage tout à fait complexe, à la psychologie fouillée. On y retrouve une part de la romancière, qui y a transposé une part de ses propres expériences ; on y trouve aussi un être plus faible et plus hésitant qui se perd indéfiniment dans l’hésitation et le remord. Petite, elle se coupe les cheveux de rage avant de s’effondrer en pleurs à l’idée d’apparaître devant toute la famille. Jeune fille, elle se laisse emporter par le flux de ses passions, et part au loin avec le fiancé de sa cousine … Pour revenir à Saint-Ogg, seule et non mariée, pour devenir la proie favorite des médisances de quartier. Maggie s’enlise dans des pulsions contradictoires, cherchant à se réfugier dans un mysticisme et d’un renoncement effrénés, avant de céder, blessées par tant de privations. L’amour même qu’elle porte à ses proches (à son père et à son frère surtout), à ses prétendants n’est pas sans ambigüités. Et c’est ainsi qu’elle oscille toujours, cherchant parfois à s’aliéner par amour de l’autre, parfois goûtant au plaisir orgueilleux d’être admirée.

A dire cela, cette jeune personne vous paraîtra peut-être particulièrement agaçante. A vrai dire, ce n’est pas vers elle que mes foudres de lectrice se sont dirigées, mais plutôt contre son frère. Les élans contradictoires de Maggie s’expliquent, ne serait-ce qu’en partie, par l’éducation qu’elle a reçue, la vie qu’elle a mené, l’environnement dans lequel elle a évolué. Consciente de certaines injustices, aveugles face à d’autres choses, elle aura tout de même gardé ne serait-ce qu’un peu de ce besoin d’indépendance qui la rendait si incontrôlable, enfant. Son frère Tom Tulliver est d’une tout autre trempe. D’un esprit lourd, engoncé dans des préjugés héréditaires, le jeune homme est à l’image de l’enfant et pense détenir la vérité absolue, monolithique, immuable. Et c’est en vertu de cette vérité qu’il juge, qu’il sanctionne, péremptoirement. Aux appels désespérés de Maggie après chaque erreur, il est le premier à lui tourner le dos et à la laisser en proie à ses angoisses. Avec la certitude du devoir accompli.

Ajoutons à cela que Le Moulin sur la Floss est servi par une écriture agréable, parfois poétique, et non dépourvue d’humour. Les portraits des oncles et tantes de la famille, de leurs attitudes tournant parfois à l’absurde, les considérations sur l’opinion publique et ses racontars, m’ont quelque fois fait sourire. Mais là n’est pas le ton principal de l’œuvre, et l’impression générale qu’on en tire à la lecture est beaucoup plus pessimiste. Le roman s’ouvre et se clôt presque sur la même image : celle de l’eau et de son flux incessant et changeant. A la douceur de la rivière endormie se succèdent tempêtes et inondations. Dynamique de vie, dynamique de mort : le cours d’eau qui fait vivre le moulin menace aussi parfois de la détruire. En cela, il n’est pas anodin de voir que la vie de Maggie est plusieurs fois rattachée à celle de l’eau, figure qui rythme les grandes étapes de sa vie, jusqu’à la fin … “La destinée de Maggie nous est donc cachée pour le moment, et nous devons attendre qu’elle se révèle comme le cours d’une rivière qui n’est pas encore tracé sur les cartes ; nous savons seulement que la rivière est pleine et rapide, et que toutes les rivières ont la même destination finale.”

Ces éléments contribuent à faire de ce long roman une oeuvre intéressante. Malgré cela, je ne peux m’empêcher d’émettre quelques réserves … Outre que j’ai mis quelques temps à venir à bout de cette lecture, que j’ai trouvé assez longue, j’ai été assez gênée par la religiosité qui imprégnait parfois assez fortement le roman. Je m’explique : littéralement truffé de références bibliques, il nous livre aussi le récit d’une conversion au terme de longues et nombreuses souffrances. Tout en mettant en cause l’institution religieuse et la charité chrétienne, l’auteur les supplante par un idéal humaniste très fort. Jusque là encore, on pourrait me dire que ça reste bien gentil, et que ça n’entraîne pas forcément à conséquence … Le problème à mes yeux demeure dans l’idéal du renoncement de soi et de son propre plaisir, aux yeux d’autrui. Le personnage de Maggie subit en effet une véritable tentation avant de renoncer à celui qu’elle aime, hantée par son passé et par la culpabilité, préférant réapparaître aux yeux de la société, crucifiée par l’opinion publique. Souffrances multipliées pour un personnage martyre, qui connaîtra enfin une forme de résurrection (en reproduisant étrangement l’histoire du mythe de Saint-Ogg, patron du village). Et là, je ne n’adhère plus, j’ai véritablement souffert lors de ma lecture en même temps que l’héroïne, en subissant les épreuves qu’elle s’impose d’elle même, dans un but d’expiation. D’ailleurs, je ne pense même pas qu’il y ait dans ce traitement de l’histoire une part de concessions faites à la mentalité de l’époque, où les scandales se déclaraient pour des choses qui aujourd’hui nous paraissent plus naturelles (quoique …). Ce thème et ces images sont en effet fort mis en avant, surtout à la fin du roman, dans une symbolique récurente. Et la critique conserve ailleurs tout son piquant.

Pour conclure, je garde une impression assez mitigée à propos de cet ouvrage. Sans pour autant regretter de l’avoir lu. Il représente bien, à mon sens, une époque pleine de contradictions et de tensions internes, une société encore en pleine mutation où beaucoup de questions se posent. George Eliot porte un regard fin sur le rythme de vie d’une petite ville isolée, sur les dynamiques qui s’y succèdent. Ses analyses psychologiques demeurent par ailleurs souvent pertinentes, et tentent avec un effort appréciable de retracer le ressenti de l’enfance et de l’adolescence. Cependant, à ces images critiques, est donné une réponse qui est loin de me satisfaire, et va jusqu’à me gêner dans sa connotation. Bonheur et pêché s’opposent à douleur et repentir, dans une logique encore teintée d’une forte religiosité, où foi en dieu et foi en l’homme veulent se réunir.


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