Une jeune réalisatrice filme les deux derniers jours qu'elle passe avec son grand-père, atteint d'une maladie qui le rend amnésique, avant son hospitalisation définitive. Le film, un court-métrage documentaire, raconte "l'histoire émouvante d'une petite-fille luttant pour ne pas être oubliée. Ses peurs, ses souvenirs ses sentiments". Le film s'appelle "Avant que tu m'oublies", la réalisatrice est Karine Blanc, elle concourt dans le cadre du festival de documentaire court de Lyon, qui a lieu en ce moment au Comoedia, Doc en courts.
C'est une tendance lourde du cinéma documentaire depuis une dizaine d'années, sans doute renforcée par l'essor de la télé-réalité: le home-movie à la première personne, l'intimité faite oeuvre. Pourquoi pas. Je connais d'excellents films de cette pâte (il n'est qu'à regarder les programmes d'Arte tard dans la nuit pour en voir de fort réussis: "La trace vermillon", "Voyage en sol majeur", "Filles de nos mères", d'autres films dont j'ai déjà parlé ici ou encore là, etc.)
Mais voilà, et son producteur l'avoue naïvement à la fin de la séance, Karine Blanc a filmé sans savoir ce qu'elle allait faire des images, pour garder une trace, sans intention d'en faire un film. Ce sont ses collègues de la maison de production dans laquelle elle travaille qui l'ont convaincue de monter ces rushs.
La technique est dégueulasse, et on comprend aisément pourquoi - son au micro-caméra ultrasaturé, images crades. Passe encore. Il est d'excellents documentaires dont la réalisation technique laisse à désirer (peut-être pas à ce point, quand même...) Ce qui rend le film réellement pénible, c'est cette maladroite insistance de la réalisatrice auprès de son grand-père. "Mais enfin, papi, tu ne te souviens pas? Mais si tu t'en souviens! C'était il y a 2 semaines. Tu fais exprès, là? Tu t'en souviens? Vraiment, tu ne t'en souviens pas? etc." Les mini-séquences se suivent et se ressemblent. Ce ne sont certes pas les images de la réalisatrice enfant, de la réalisatrice maintenant, du tourne-disque qui reprend les mêmes rengaines du bonheur d'autrefois (images sans doute tournées a posteriori), encore moins des cartons faisant office de voix-off et exprimant un désespoir, des peurs que les images sont impuissantes à montrer - des cartons qui ressemblent à une emplâtre sur une jambe de bois - qui sauveront quoi que ce soit.
Mais où Karine Blanc veut-elle en venir? Que nous montre-t-elle dans ce film? Je reste dubitative, avec cette seule certitude que ça ne fonctionne pas, qu'on ne peut pas exhiber ainsi l'intime, sous peine de le rendre purement et simplement grotesque - j'aurais même envie de dire obscène. Un film documentaire, comme tout film, a besoin d'une écriture - même, et surtout un film sur l'intimité familiale. Un sujet fort ne suffit pas. La sincérité non plus. Les collègues producteurs ont été mauvais conseilleurs, voici un film qui n'aurait jamais dû sortir de la sphère familiale, un film dont l'intention artistique est bien trop immature. Heureusement pour elle, la réalisatrice n'est pas venue présenter son film. Elle a du mal à imaginer qu'il sera vu, nous explique son copain producteur. Ô combien elle a raison! J'aurais aussi été mortifiée pour elle, si elle était venue.
Le mystère pour moi reste la sélection de ce film dans un festival dont je n'ai aucune envie de dire du mal. Jacques Gerstenkorn, délégué général (et bien plus, le festival est son bébé) reconnaît avoir dû sélectionner 20 films sur 200 reçus par la Poste et 200 diffusés dans d'autres festivals. Pourquoi alors avoir retenu un film si peu abouti? Ce n'est pas la première année que je suis étonnée des choix Doc en courts. Certains films primés les années précédentes frôlaient même, à mon avis, l'arnaque (je pense en particulier à l'exécrable "Diary of a married man" de Lech Kowalski, mise en scène sado-masochiste piètrement provocatrice). Si le film de Karine Blanc est primé samedi soir, alors décidément, je n'y comprendrai plus rien...