L'écriture est une recherche du sens qu'elle-même rejette. À la fin de la quête le sens se dissipe et nous révèle une réalité proprement insensée. Que reste-t-il ? le double mouvement de l'écriture : cheminement vers le sens, dissipation du sens. Allégorie de la mortalité : ces phrases que j'écris, ce chemin que j'invente ici [...] , s'effacent, se défont alors même que je les écris : jamais je n'arrive ni n'arriverai à la fin, tout n'a été qu'un perpétuel recommencement. Ce que je dis, c'est dire continuellement ce que je vais dire et que je n'achève jamais de dire : je dis toujours autre chose. Dire qui à peine dit s'évapore, dire qui ne dit jamais ce que je veux dire. En écrivant, je chemine vers le sens : en lisant ce que j'écris, je l'efface, j'oblitère le chemin. Chaque tentative aboutit au même résultat : dissolution du texte dans la lecture, expulsion du sens par l'écriture. La quête du sens culmine dans l'apparition d'une réalité qui est au-delà du sens et qui le désagrège, l'élimine. Nous allons de la recherche du sens à son abolition afin que surgisse une réalité qui, à son tour, se dissipe. La réalité et sa splendeur, la réalité et son opacité : la vision que nous propose l'écriture poétique est celle de sa dissolution. La poésie est vide tout comme la clairière sur le tableau de Dadd ; elle n'est que le lieu de l'apparition qui, simultanément, est le lieu de la disparition. Rien n'aura eu lieu que le lieu.
Octavio Paz, Le singe grammairien, Les Sentiers de la création, Skira, 1972, p. 134.
Contribution de Tristan Hordé