Le dernier empereur Étoile impériale

Par Julien Peltier



En 1987, Bernardo Bertolucci, promu à la tête d’une production titanesque rassemblant Français, Italiens et Hongkongais, réalise une fresque d’une ambition démesurée. Le défi : dépeindre, par le prisme homérique du parcours de Pu Yi, dernier souverain de l’Empire du Milieu, les vicissitudes de la Chine au cours de la première moitié du vingtième siècle. Casting magique, légions de figurants, argument historique, costumes somptueux et souffle épique, rien ne manque à cette oeuvre unique, paradoxalement supérieure à bien des réalisations chinoises jouant dans le même registre.


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1908, Pu Yi, garçonnet à peine sevré, est sacré empereur. Héritier d’une mosaïque chatoyante de peuples secouée par le chaos planétaire du siècle naissant, l’enfant sera aussi le dernier dépositaire de la succession millénaire des dynasties impériales. De la révolution qui verra l’avènement d’une république presque aussitôt corrompue au triomphe communiste porté par Mao tsé toung, en passant par l’avilissement de la collaboration avec l’occupant nippon durant la seconde guerre mondiale, Bertolucci met en scène le tourbillon vertigineux de l’histoire, et réalise le formidable tour de force de tout dire sans jamais être bavard. Le cinéaste signe ici une réussite plastique pénétrée d’intelligence, poétique et parfois suave, jamais manichéenne et toujours pertinente, qui sera couronnée par neuf Oscars®. L’élégance et le talent de John Lone, dans le rôle-titre, sachant tour à tour se rendre méconnaissable en dandy accommodé à la sauce occidentale, puis en empereur fantoche agité par les marionnettistes japonais, et enfin en détenu suicidaire, étincelle sur tout le film. Sir Peter O’Toole, toujours superbe et embelli par l’âge, complète opportunément le duo brillant par son flegme britannique, vernis d’une finesse aristocratique acérée.

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Bâti sur déroulement chronologique présentant une enfilade de longues séquences historiques en flash-back, le film est rythmé, en creux, par le duel pénitentiaire entre celui qui n’est plus désormais qu’un détenu « à rééduquer » parmi d’autres, et son geôlier. Ce gouverneur de prison, subtil et débonnaire, est interprété par Ruocheng Ying, qui illustre la qualité des seconds rôles. À ses côtés, Joan Chen est sublime en épouse délaissée à la dérive, Ryuichi Sakamoto brille en âme damnée au(x) service(s), secrets, du Japon. Relativement conventionnel dans sa forme, « Le dernier empereur » consacre néanmoins le talent de faiseur de son auteur, qui sait mettre en berne le réalisateur au bénéfice du conteur. Ici, point d’effet de manche ou d’artifice tape-à-l’œil, Bertolucci a la sagesse de ne pas polluer un récit qui se suffit à lui-même, et que servent admirablement des dialogues remarquables, dont la rencontre entre le jeune souverain et son précepteur anglais fournit un exemple édifiant. Même la musique du film, magistralement composée par David Byrne et Ryuchi Sakamoto, est entrée depuis dans la légende. C’est un vieux rêve qu’ont caressé bien des monarques, et tous les tyrans, que d’incarner dans leur destin personnel celui de la nation. En dépit des nombreux errements et de fautes impardonnables, Pu Yi, dernier empereur de Chine, y sera parvenu malgré lui. C’est peut-être ce qui donne à cette chronique d’un homme - et d’un peuple à travers lui – ce parfum unique qu’exhalent les rares instants où le mythe, l’histoire et le cinéma s’entrelacent.
Ujisato

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Réalisé par Bernardo Bertolucci
Avec John Lone, Joan Chen, Peter O'Toole
Film français, hongkongais, italien, britannique.
Durée : 2h 25min.
Année de production : 1987
Titre original : "L'Ultimo imperatore"