Profitant d'un passage à Toulouse pour une journée d'étude sur le livre illustré, organisée par le département de littérature comparée de l'université du Mirail, je me suis attardé à la médiathèque José Cabanis pour aller voir une exposition sur Edmund Dulac, très célèbre illustrateur franco-anglais de la première moitié du XXe siècle. Compte-rendu de cette exposition, en partie justifiée par la richesse des collections de la médiathèque, et par le fait qu'Edmond Dulac (qui se fera plus tard naturaliser anglais, et signera Edmund) est né à Toulouse.
D'abord, un cartel très limité, pour ne pas dire quasi-inexistant, rend difficile la compréhension du contexte d'émergence de ces images. Et dieu sait, pourtant, que le contexte est important dans le cadre du livre illustré: on n'illustre pas tel type d'ouvrages de la même manière que tel autre, etc. Mais là, visiblement, on est prié de se reporter au catalogue. Bon. Belle muséographie cependant, qui met vraiment très bien en valeur les ouvrages, comme les planches indépendantes. Mais assez confuse néanmoins, ceci étant dû encore une fois à la faible présence d'explications directes des œuvres exposées. Certaines œuvres ne nous sont même pas présentées: certaines vitrines contiennent jusqu'à 5 ouvrages, dont un seul est décrit par le cartel. Il est dès lors impossible de faire une différence entre les exemplaires, ou même d'imaginer une chronologie de publication. Ce qui entraîne de manière générale un flou historique complet, conséquence d'une muséographie qui insiste plus sur la mise en scène des ouvrages que sur l'explication de leur contexte de création. A de rares exceptions près, bien évidemment: quand les images ou les objets exposés posent vraiment question (les timbres postaux, les instruments de musique, les revues litéraires que Dulac ornait de lettrines à l'époque où il apprenait les Beaux-Arts à Toulouse), on a droit à une petite explication. Mais tout cela est vraiment très limité, et on doit donc se reporter au livre-catalogue qui a été édité pour l'occasion pour en apprendre plus. Soit, allons donc le voir de plus près.
Le livre est par ailleurs assez peu épais (120 pages avec beaucoup d'images), et assez cher (30 euros) pour la quantité de texte qu'on peut y trouver. D'autant plus que ce texte est parfois (souvent?) émaillé d'erreurs et d'approximations.
Un exemple d'erreur p. 19: «William Morris, par exemple, fabriquait ses ouvrages en petit nombre, créant lui-même ses caractères et ses encres»; non, Morris ne fabriquait pas lui-même ses encres, il passait beaucoup de temps à les choisir et les faisait venir spécialement d'Allemagne, certes, mais il ne les créait pas. Il faisait déjà suffisamment de choses au sein de la Kelmscott Press (la typo, la mise en page, les ornements, le texte), n'en rajoutons pas trop.
Un exemple d'approximation p. 39: «[Arthur Rackham] était un grand dessinateur, influencé par l'Art nouveau»; peut-être va-t-on trouver que je chipote, mais non, Arthur Rackham n'est pas influencé par l'Art nouveau. Il peut à la rigueur être considéré comme un artiste Art nouveau, étant tout à fait contemporain de l'émergence de ce mouvement d'arts décoratifs, mais en aucun cas il n'est «influencé» par lui. Ses références sont Beardsley, Housman, Crane, etc., mais certainement pas Guimard, Horta, ou même Mucha. Et puis parler d'Art nouveau en Grande-Bretagne est à peu près aussi problématique que de parler de symbolisme anglais: les îles britanniques ont leurs propres écoles et mouvements d'arts décoratifs au tournant du siècle (les Arts & Crafts, l'école de Glasgow...), et n'ont donc pas véritablement besoin de s'inspirer des volutes végétales des décorateurs Art nouveau. Ceci engagerait un vaste débat que je ne veux pas lancer, mais dire que Rackham est influencé par l'Art nouveau est sinon faux, du moins très rapide et approximatif.
Seulement deux exemples, mais qui montrent bien que cet essai de Pierre Nouilhan est de seconde main, et qu'il aborde visiblement le sujet de manière pour ainsi dire nouvelle. Non que ce qu'il dise est globalement faux, mais c'est juste une synthèse qui d'une part n'apporte visiblement pas grand-chose de neuf (ce qui en soi n'est pas grave, puisque son travail permet après tout de synthétiser la bibliographie anglo-saxonne pour un public francophone), et d'autre part semble par endroits fort imprécise. Ce n'est pas grave, mais c'est dommage. Parce que c'est le premier livre de conséquence à être publié en langue française sur Dulac, et qu'il est dès lors dommage qu'il soit par moments... inconséquent.
Néanmoins, je ne voudrais pas, par ces quelques critiques sans doute un peu pointilleuses, éloigner le lecteur de cette exposition. Bien que le cadre scientifique de cette exposition soit à mon sens insuffisant (mais après tout, nous ne sommes pas non plus dans un musée national...), il reste que l'on est ébloui par les images de Dulac, très rarement visibles en aussi grand nombre sur le territoire français, à part, je suppose, dans les biblliothèques de quelques collectionneurs privés... Après tout, le but d'une exposition n'est pas seulement d'apprendre, c'est aussi (surtout?) de passer un bon moment, et de donner accès aux œuvres. Cette exposition est l'occasion de voir de très belles choses, pour certaines assez étonnantes, comme les photos des costumes de Dulac pour la création de la pièce At the Hawk's Well de William Butler Yeats, fin 1815. Ou encore les séries d'illustrations de l'artiste commandées par l'éditeur Henri Piazza pour orner les numéros de Noël de l'Illustration,de 1910 à 1913, sur des thématiques aussi variées que les poèmes de Verlaine, les princesses orientales, la poésie vénitienne de Musset, ou les comptines françaises.
Allez donc vous réjouir les yeux, l'exposition dure jusqu'au 25 janvier. Mais si vous lisez l'anglais, vous pouvez ne pas dépenser les 30 euros du livre... qui est parfois en plus mal écrit, et là c'est le correcteur qui parle. «Le travail, bien que maigre, ne fut pas totalement interrompu» (p. 101): je ne savais pas qu'un travail pouvait être «maigre», ou gras, aussi, peut-être? Enfin bon, cessons de nous plaindre, c'est déjà tellement bien qu'on ait droit à une exposition, en France, sur un illustrateur anglais. L'honneur est sauf, néanmoins: il est d'origine française!