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L'Amérique au panthéon rock, part X

Publié le 24 novembre 2008 par Bertrand Gillet
Il m’a fallu des heures et des heures de réflexion intense pour choisir dans l’œuvre resserrée de Jimi la galette la plus représentative de la révolution que venait de vivre le rock entre 67 et 70, mu par l’exploration infatigable du Cherokee Son. Le pays de la femme électrique fut ainsi retenu pour figurer dans ce panthéon éternel. 1968. Hendrix se sent déjà usé par un star-système en devenir et son besoin de recherche musicale se fait de plus en plus prégnant. Il s’isole ainsi dans le studio qu’il a fait construire quelques mois auparavant pour enregistrer les sessions qui façonneront l’un des plus grands doubles albums de l’histoire du rock. Entouré du noyau dur de l’Experience, Mitch Mitchell et Noel Redding, il peut enfin exprimer son désir le plus cher, celui de monter un big band rock dont il serait le principal soliste mais avant tout l’unique maître d’œuvre. Contrairement à un Miles Davis gourou d’une nouvelle génération de musiciens jazz qui viendra prêter mains fortes à quelques troublants chefs-d’œuvre, il existe très peu de stars du rock pouvant se prévaloir d’une telle démarche. Avec Franck Zappa, Hendrix incarnera la posture du musicien total, à la fois auteur, compositeur, interprète, mais aussi leader incontesté, allant jusqu’à multiplier les prises dans un esprit de perfectionnisme radical. La production était jusqu’alors occupée par un membre extérieur au groupe, rappelez-vous George Martin, Phil Spector ou même Bob Thiele qui trouva le son ultime de Coltrane. Aussi, la démarche d’Hendrix détonne dans le paysage musical de l’époque. Tour de force indéniable, il s’en remet à des musiciens accomplis pour donner corps à son troisième projet. Jack Casady du Jefferson Airplane, Steve Winwood de Traffic, Al Kooper qui enregistra avec Dylan figurent parmi les plus célèbres. Que de tels egos acceptent de cohabiter sous les ordres du maître paraît aujourd’hui inconcevable. Quant à l’œuvre en elle-même, sa densité, son inventivité permanente et son audace ont contribué à sceller sa propre légende. Tout le génie hendrixien s’y exprime, sur deux galettes, quatre faces où la magie éthérée du jazz et les noirs sortilèges du psychédélisme côtoient blues et rock’n’roll traditionnels. La synthèse, un absolu musical qui semble avoir surgi du temps pour éclater en fulgurances électriques, quelque 40 plus tard. Crosstown Traffic, Little Miss Strange, Long Hot Summer Night sont des pop songs à l’arithmétique parfaite, Gypsy Eyes, Burning Of The Midnight Lamp, des odes spatiales aux sonorités cristallines. Come On, House Burning Down, des rocks classiques au sens noble du terme. Rayny Day, Dream Away et Still Raining, Still Dreaming, des figues gémellaires en jazz majeur. Deux morceaux épiques résument le style Hendrix : Voodoo Chile est un pur blues au son ample, profond, l’orgue de Steve Winwood apporte cette couleur spirituel si chère au gaucher de Seattle. La seule et unique Jam Session qui ne paraisse pas de nos jours rébarbative ou prétentieuse. De l’autre côté de la rivière blues, il y a les étoiles, cette inspiration démente qui donne vie à 1983 et Moon Turn The Tides… L’équivalent américain des épopées planantes assemblées par les mythiques Pink Floyd. Enfin, citons en exemple All Along The Watchtower, reprise de Dylan. L’auteur en question avoua à l’époque qu’il n’existait pas interprétation aussi radicalement neuve, aussi intensément inspirée. On ne pouvait rêver plus beau compliment. Il témoigne cependant d’une réalité hallucinante en ces temps de créativité débridée (et droguée) : Hendrix est le seul musicien capable de remodeler un tube, de se l’approprier. Qui pourrait deviner que Hey Joe est une compo de Billy Roberts ? Hendrix en fit un standard éternel et se paya un an après le luxe de récidiver avec All Along The Watchtower, magnifique jusque dans ses moindres arrangements. Le double Lp se referme sur un titre qui préfigure le courant Hard, Voodoo Chile (Slight Return) aux zébrures de fender. Sans fioritures, sans falbalas, ni écho ni phasing. Un homme, une guitare. Une vision doublée d’une sincérité totale pour accoucher méthodiquement d’un album fascinant, pilier du rock US.

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