Avec un mois de retard, Combats pour les droits de l’homme publie une brève sur l’affaire Renolde.
Ce billet est rédigé à partir notamment d’une lettre droits-libertés de Sylvia Laussinotte (CREDOF) du 17 octobre.
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Cet arrrêt de la Cour de Strasbourg pose la question des conditions du maintien en détention de personnes souffrant de pathologies psychiatriques lourdes, alors qu’elles devraient être placées en hôpital psychiatrique.
Il est admis que près de 30% des 60 000 détenus français souffrent de troubles mentaux et qu’environ 15% sont atteints
de pathologies lourdes. Il y a quelques années, les experts concluaient dans ces cas à leur irresponsabilité pénale, évitant un procès et aboutissant à l’internement psychiatrique ; tel n’est plus le cas aujourd’hui : manque de structures hospitalières adaptées, exigence par les victimes d’un procès ressenti comme un rituel d’expiation. Ces personnes qui auraient dû être internées se retrouvent derrière les barreaux, dans des structures inadaptées à leur état ; lorsqu’elles ont des crises de violence, elles sont sanctionnées par enfermement en cellule disciplinaire (« le mitard »), donc totalement isolées et laissées à elles-mêmes. Selon la section française de l’OIP (Observatoire international des prisons), «les suicides au mitard de détenus ayant des troubles psychiatriques sont fréquents». C’est précisément dans une telle cellule qu’un détenu atteint de troubles psychiatrique s’est suicidé à la prison de Bois d’ArcyCEDH, 16 octobre 2008, Renolde c. France (requête no 5608/05)
Les faits d’espèce:
Un détenu souffrant de troubles psychotiques et sous traitement neuroleptique fut placé en cellule disciplinaire pour 45 jours à la suite de l’agression d’une surveillante pénitentiaire alors même qu’il avait fait quelques jours auparavant une tentative de suicide. Après 18 jours de ce régime carcéral, il se pendit à la grille de sa cellule à l’aide de son drap. Une expertise médicale révéla ultérieurement qu’au moment de son décès, il n’avait pas pris son traitement neuroleptique depuis au moins deux ou trois jours.
L’expertise psychiatrique conduite durant l’instruction conclut qu’il souffrait de troubles psychotiques aigus et que son suicide paraissait résulter non d’un syndrome dépressif, mais d’un passage à l’acte imputable à ces troubles, surtout si le traitement n’était pas correctement pris.
La sœur de la victime a invoqué devant la Cour les articles 2 et 3 de la Convention en faisant valoir que les autorités françaises n’auraient pas pris les mesures nécessaires pour protéger la vie de son frère et que son placement en cellule disciplinaire pendant 45 jours était excessif compte tenu de sa fragilité psychique.
Recevabilité (épuisement des voies et délais de recours)
Sur la recevabilité de la demande, le gouvernement français faisait valoir le non épuisement des voies de recours interne. S’agissant du pourvoi en cassation de la seule partie civile, il n’est recevable que dans certains cas limitatifs non présent en l’espèce. Le pourvoi de la requérante aurait donc été voué à l’échec. Sur la possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat, la Cour note que le Conseil d’Etat n’exige plus l’existence d’une faute lourde depuis son arrêt Chabba du 23 mai 2003. Ce n’est qu’à cette date que ce recours a acquis un degré suffisant de certitude soit près de trois ans après les faits de cette affaire. Ainsi, la Cour conclut à la recevabilité de ce recours.
Sur la violation de l’article 2 Conv.EDH
S’agissant de l’article 2 de la Convention, la Cour est frappée par le fait que, malgré la tentative de suicide de ce détenu et le diagnostic porté sur son état mental, l’opportunité de son hospitalisation dans un établissement psychiatrique ne semble jamais avoir été discutée.Elle rappelle que « la première phrase de l’article 2 astreint l’Etat non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction » (§80) notamment « l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu contre autrui ou, dans certaines circonstances particulières, contre lui-même» (§ 81).
Or, malgré son dossier faisant état de plusieurs séjours en psychiatrie et le rapport de psychiatres sur son état mental, un traitement quotidien obligatoire lui étant imposé, il n’a jamais été envisagé de le placer en hôpital psychiatrique.
Elle tient compte du fait que trois jours après sa tentative de suicide, il s’est vu infliger par la commission de discipline la sanction la plus lourde, à savoir quarante-cinq jours de cellule disciplinaire pour l’agression d’une surveillante et qu’aucun compte ne semble avoir été tenu de son état psychique.
Elle relève que pour les experts, la mauvaise observance du traitement a pu favoriser le passage à l’acte suicidaire.
De plus, aucun suivi de la prise de médicaments par le détenu n’a été mis en place dans le cadre de cette sanction, l’autopsie ayant révélé qu’il n’en avait pas pris depuis 2 à 3 jours.
La Cour estime que faute pour les autorités d’ordonner son placement dans un établissement psychiatrique, elles devaient à tout le moins lui assurer des soins médicaux correspondant à la gravité de son état.
A l’argument des médecins indiquant qu’il n’est pas possible d’assurer le suivi de tous les traitements délivrés en prison, la Cour oppose que « sans perdre de vue les difficultés auxquelles sont confrontés les intervenants en milieu carcéral, elle éprouve les plus grands doutes sur l’opportunité de laisser à un détenu souffrant de troubles psychotiques avérés le soin de gérer lui-même quotidiennement son traitement sans aucune surveillance (§ 104) ».
Dans ces conditions, la Cour conclut à l’unanimité à la violation de l’article 2 de la Convention - les autorités ayant manqué à leur obligation positive de protéger le droit à la vie du détenu.
Sur la violation de l’article 3 CEDH
S’agissant de l’article 3, la Cour rappelle qu’elle est consciente des difficultés auxquelles se heurtent les autorités pénitentiaires et de la nécessité de sanctionner les agressions visant les personnels de surveillance.
Cependant, la Cour est frappée par le fait que ce détenu se soit vu infliger la sanction maximale pour une faute du premier degré, sans aucune prise en compte de son état psychique et alors qu’il s’agissait d’un premier incident. Elle estime qu’il s’agissait d’une sanction lourde, susceptible d’ébranler sa résistance physique et morale. Elle observe que ce type de mesure entraîne la privation de toute visite et de tout contact avec les autres détenus (§ 124 et 125).
La Cour rappelle que l’état d’un prisonnier dont il est avéré qu’il souffre de graves problèmes mentaux et présente des risques suicidaires appelle des mesures particulièrement adaptées en vue d’assurer la compatibilité de cet état avec les exigences d’un traitement humain et conclut en l’espèce à la violation de l’article 3 de la Convention.
La Cour constate donc la violation de l’article 3, la sanction infligée n’étant « pas compatible avec le niveau de traitement exigé à l’égard d’un malade mental et que cette sanction constitue un traitement et une peine inhumains et dégradants».
CEDH, Renolde c. France (requête no 5608/05), 16 octobre 2008
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