Un prof, ça coûte cher. Je veux dire un vrai, formé, sélectionné par concours, payé comme fonctionnaire. Un prof coûte d’autant plus cher qu’il n’est point seul : c’est qu’il en faut du monde pour encadrer la jeunesse, lui apprendre à lire écrire compter et beaucoup plus encore. L’Etat est fauché. Il cherche à faire des économies. C’est sain, comme gestion. Sauf que du coup, ce sont les fonctionnaires (et donc par ricochet les usagers) qui en font les frais. Parlons de ce que je connais : le prof.
Avant d’être prof, l’individu est étudiant. A ce jour, il peut se lancer dans la préparation du CAPES (concours de recrutement des professeurs du second degré) après l’obtention de sa licence, c’est-à-dire à bac + 3. La préparation du concours dure un an (aux frais de l’étudiant). L’obtention du concours est de plus en plus aléatoire car le nombre de place est en chute libre, ce qui fait du CAPES une véritable épreuve olympique. Une fois le concours en poche, notre individu n’est plus étudiant mais professeur stagiaire : son statut de fonctionnaire est temporaire. Il est payé pour un temps plein et doit effectuer un service de 6 heures maximum face à une ou deux classes qui lui sont affectées pour l’année scolaire, auxquelles s’ajoutent des journées de formation à l’IUFM et des rencontre avec un professeur-tuteur. A l’issue de cette année de stage, notre stagiaire devient fonctionnaire titulaire, sauf avis contraire de l’inspection. Le professeur aujourd’hui est donc évalué sur ses connaissances (les épreuves du CAPES) et sur sa pratique (le stage).
La réforme en cours prévoit le passage du CAPES à l’issue d’une formation de cinq ans, sanctionnée par un master professionnel. Cinq ans donc entièrement à la charge de l’étudiant, au lieu de quatre dans le système précédent, sachant que la préparation d’un concours aussi difficile nécessite de s’y consacrer totalement : notre étudiant a donc tout intérêt à passer son master puis à enchaîner sur la préparation du concours. Un an de plus, toujours aux frais de l’étudiant. On passe donc de quatre à six années d’études à la charge de l’étudiant : si sa famille n’a pas les reins solides, il est contraint de changer de voie (on ne peut pas, vue la difficulté du concours, cumuler sa préparation avec un emploi suffisamment rémunérateur). Une fois le concours en poche, notre jeune lauréat devient fonctionnaire et doit un service équivalent à un temps plein. A lui de trouver du temps pour se former. L’Etat économise l’année de stage, tout en ayant gardé au chaud des étudiants qui ne grossissent pas les rangs des chômeurs.
Ça va jusque là ? Vous suivez ? Parce-que ce n’est pas tout. La majorité des titulaires du master échoueront au concours (le nombre de place est calculé au plus juste). Ils auront bien un niveau d’étude leur permettant d’enseigner, mais pas le fameux sésame leur permettant de jouir du statut de fonctionnaires. Payés moins cher, corvéables et licenciables à l’envi, ces contractuels formeront un extraordinaire vivier de remplaçants (y compris pour des postes à l’année, voire plus). Des gens plus fragiles, plus isolés, mais qui auront un niveau d’étude suffisant pour se mesurer aux certifiés : quand ces derniers auront l’idée bizarre de vouloir entamer, par le biais de leurs syndicats, des negociations salariales ou concernant les conditions de travail, ils passeront pour des nantis face à ces contractuels qui, je le répète, auront le même niveau d’étude (ce qui n’est pas nécessairement le cas aujourd’hui). Non seulement, l’économie est substantielle, mais en prime l’Etat s’offre un “Diviser pour mieux régner” magistral.
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