Fait suffisamment rare pour être relevé, 534 magistrats ont apposé leur signature au bas d’une motion réclamant les excuses publiques de la Garde des Sceaux Rachida Dati, suite à l’affaire de Metz et le suicide d’un mineur en prison. Si les professionnels de la justice expriment depuis plusieurs mois maintenant leur mécontentement face aux annonces et réformes du Gouvernement, les Français également révèlent un regard critique à l’égard de la Justice. Différentes enquêtes en témoignent, les Français doutent de l’institution et énoncent de nombreux griefs à son égard !
Un fonctionnement critiqué
A plusieurs reprises, la question de l’appréciation du fonctionnement de la Justice a été soumise à l’opinion. Interrogés il y a près de 30 ans, en mai 1980, les deux tiers des Français (65%) considéraient que la Justice fonctionnait mal. Quelques années plus tard, les jugements étaient toujours sévères, puisqu’en novembre 1999, 62% répondaient de la même manière ! En octobre 2004, au lendemain du procès de l’affaire d’Outreau (qui s’est déroulé de mai à juillet la même année) 7 français sur 10 (70%) interrogés par TNS Sofres critiquaient toujours son fonctionnement (23% « très mal »).
Plus récemment, en mai dernier, l’Ifop à la demande du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) s’est intéressé à cette question. Les résultats sont apparus plus cléments pour l’institution : une minorité de Français (41%) critiquant l’organisation de la Justice. Bonne nouvelle ? Pas si sûr. Une enquête réalisée par Ipsos en juillet dernier révèle qu’une majorité de Français (59%), partage l’idée d’une justice qui depuis 10 ans n’a cessé de se détériorer.
Le sentiment d’une justice injuste …
Plus inquiétant que la sévérité des jugements exprimés à l’égard de son fonctionnement, plus d’une personne sur deux en France (53%) déclare avoir une mauvaise image de la Justice, dont 19%, soit une personne sur cinq, qui en a une « très mauvaise », selon l’enquête Ipsos. A l’origine de ce constat, ou du moins l’expliquant en grande partie, un manque de confiance réel dans l’institution exprimé très nettement par les Français !
Le procès d’Outreau et ses suites est encore probablement dans les esprits, mais plus récemment, l’histoire de Jorge Montes, (accusé de viols et séquestration et déjà condamné), libéré du fait d’une simple erreur d’écriture de la Cour d’appel de Paris (qui a infirmée au lieu de confirmer) incarne ces affaires qui marquent l’opinion et qui alimentent la défiance à l’égard de la justice. Signe du scepticisme des Français, 64% réprouvent l’idée que « tous les citoyens sont bien défendus devant la justice même s’ils manquent de moyens financiers » et moins d’un sur deux (46%) considère qu’en France, la justice rend des décisions équitables et justes ! En juillet 2004, seuls 28% des Français (interrogés par CSA) étaient en phase avec l’idée selon laquelle « les citoyens sont égaux devant la Justice » et à peine plus d’un sur deux (55%) reconnaissaient l’impartialité des décisions de Justice.
Aussi, à la question posée par l’Ifop en janvier 2006 « selon vous qu’elle devrait-être la mission prioritaire de la Justice en France ? » c’est « la garantie de l’égalité de tous devant la loi » (52%) qui prédomine loin devant deux missions pourtant essentielles de la Justice que sont « la sanction des coupables » (26%) et « la réparation des dommages subis » (10%).
… et qui fait peur !
Encore plus inquiétant, les Français craignent la Justice. Début 2006, 65% des Français interrogés par CSA déclaraient avoir peur de la Justice s’ils devaient avoir à faire à elle ! Ils étaient 57% à partager la même idée en juillet 2004, soit un sentiment en hausse de 8 points !
Deux ans plus tard, ce sentiment semble toujours être d’actualité. Dans la récente étude Ipsos, à l’affirmation « quand on est innocent, on n’a rien à craindre de la Justice » seules 54% des personnes interrogées approuvent !
Et les magistrats ?
Rassurant ou non, les professionnels de la Justice semblent avoir conscience de l’état de l’opinion. En effet, près des deux tiers des magistrats (63%) interrogés par l’Ifop partagent ce sentiment que les Français ne font pas confiance à l’institution ! L’intitulé du rapport annuel d’activité 2007 du Conseil Supérieur de la Magistrature qui vient d’être publié “Les français et leur justice : restaurer la confiance” apparaît donc comme un symbole de cette prise de conscience. Toutefois, les raisons perçues par les magistrats de cette défiance divergent de celles de l’opinion. Là où ces derniers évoquent en premier lieu la complexité, la lenteur (79% de citations) et le coût de la Justice (46%), les Français répondent « la justice n’est pas la même pour tous » (61%), « la justice est trop lente » (58%) et « la justice est inéquitable et injuste » (43%) !
« Ras-le-bol » des magistrats, défiance de l’opinion, la Justice française n’est pas au mieux ! Les différents ministres qui se sont succédés place Vendôme n’ont pas réussi à réconcilier l’institution avec les Français.Espérons que les changements qui s’annoncent à la Chancellerie permettront de redonner confiance aux Français en leur système judiciaire.