Note : 9/10
Meilleurs titres : Agoraphobia/ Never Stops/ Operation
L'album que Deerhunter a sorti récemment a de quoi laisser admiratif. Avant tout, il s'agit d'un double album : le premier disque s'intitule Microcastle et le deuxième Weird Era Cont. Les doubles albums ne sont pas si fréquents, ce qui fait qu'on pense instantanément aux grands concept albums du genre The Wall ou Mellon Collie & The Infinite Sadness.
Mais attention, dire de Microcastle/Weird Era Cont. qu'il est un concept album serait excessif. Bien sûr, les deux disques forment une seule et même œuvre qui est assurément l'une des meilleures surprises de 2008, bien sûr des correspondances existent entre les deux disques (la plus belle, c'est la reprise sur Weird Era Cont. de "Calvary Scars", une chanson dont on trouvait une première ébauche très courte sur Microcastle, qui s'étire ici sur dix minutes et clôt magnifiquement l'album), cela étant Deerhunter, on le sent, n'a pas cherché à faire son Pink Floyd.
Au-delà de ces considérations sur le double album, ce qui impressionne c'est la maîtrise musicale dont fait preuve Deerhunter avec Microcastle/Weird Era Cont.
Microcastle commence magnifiquement avec une plage courte et instrumentale, "Cover Me (Slowly)", qui met immédiatement dans l'ambiance : une ambiance dark, éthérée et vaporeuse, propre aux groupes influencés par la new wave et le shoegaze, ce qui est à l'évidence le cas de Deerhunter. Le titre suivant, "Agoraphobia", reprend les accords mineurs de "Cover Me (Slowly)", modifiant le tempo et l'ambiance de la chanson (un peu plus pop), ajoutant surtout le chant. On se dit que ça commence vraiment très bien.
Arrive ensuite "Never Stops" et son riff de départ extrêmement percutant, le refrain aérien et les "aah, aah" très convaincants du chanteur Bradford Cox, et alors là on commence à réellement dresser l'oreille, comprenant qu'on a affaire à du lourd. Le reste de Microcastle ne décevra pas, bien au contraire. Creusant un sillon qui mélange subtilement et brillamment psyché (Pink Floyd), krautrock, new wave (Joy Division) et shoegaze (My Bloody Valentine), mais aussi influences plus punk et indus (Nine Inch Nails) voire gothiques (The Cure ou Gish, le premier Smashing Pumpkins), je ne vois pas quel amateur de rock indie ne serait pas immédiatement séduit et convaincu par l'effort incroyable que vient de livrer Deerhunter. Chaque morceau vaut le détour, mention spéciale à "Little Kids", "Nothing Ever Happened" ou "Saved By Old Times" et ses histoires de vampires de l'ère victorienne.
En refermant Microcastle, on se dit que Weird Era Cont. ne peut pas poursuivre au même niveau et qu'il s'agit sans doute de chutes de studio. Force est pourtant de constater que si ce second opus est, à certains égards, un peu plus expérimental et bruitiste, il vole quand même très, très haut et que bien des groupes aimeraient ne produire qu'un ou deux titres de cet acabit.
C'est "Backspace Century" qui ouvre les hostilités : la production de ce titre est très influencée par la new wave post-punk des années 80 dont s'inspirent de nombreux groupes ces dernières années (j'avais autrefois, au sein d'une chronique patchwork, évoqué l'album des texans I Love You But I've Chosen Darkness). Pourtant, et c'est ce qui démarque nettement Deerhunter du lot, leurs influences finissent par former un tout cohérent et à part, bref original, ce qui leur permet de décocher des compos absolument géniales comme "Operation", le deuxième titre de Weird Era Cont. qui se paye le luxe de mixer, à toutes les influences précédemment évoquées, des riffs de guitare funky et une batterie quasiment disco, mais plus encore de partir sur un rythme 4x4 puis de le casser au moment du refrain pour basculer sur un ternaire bien plus aérien.
Parmi les moments particulièrement intéressants, je retiendrai les deux titres qui se répondent en écho "Vox Celeste" et "Vox Humana" : le premier est totalement dans l'esprit du rock indie de groupes un peu noisy comme The Jesus And Mary Chain ou My Bloody Valentine, le deuxième par contre surprend davantage avec une intro et une rythmique fifties, un peu comme dans ces films de David Lynch où surgissent soudain des mecs et des nanas rockabilly. J'aime aussi particulièrement la basse très accrocheuse de "Focus Group" et, bien sûr, le final de l'album "Calvary Scars II/ Aux Out" puisqu'il débute avec une guitare et une voix pleines de reverb et d'échos, qui sont très vite rejoints par une batterie et une basse de plus en plus pêchues et servies par des accords mineurs vraiment bien trouvés.
On l'aura compris, j'ai adoré ce nouvel album de Deerhunter : je pense que c'est peut-être le groupe qui manquait au rock indépendant depuis quelques années, celui des grandes heures, d'ailleurs ce n'est probablement pas un hasard si Microcastle/Weird Era Cont. paraît sur le label mythique 4AD (Pixies, Belly, Breeders, Blonde Redhead…). Album à la fois très énergique et vénéneux, classique et innovant, il illustre avec excellence la tendance du rock malade et claustrophobe que, personnellement, j'affectionne particulièrement. Je dis bravo !