Aguilar de la Frontera, Espagne, Août 2008
Quelques semaines passées cet été (comme d'habitude) près de Marbella étaient propices pour aller visiter cette fameuse cave. Elle est située au coeur de l'Andalousie, à 50 km au sud de Córdoba et à 150 km à l'est de Séville. Ici, en août, c'est le cagnard. Depuis le départ de la côte méditéranéenne, le thermomètre de la voiture n'a cessé de grimper pour accrocher en arrivant les 40°c à l'ombre !
La bodega est située à Aguilar de la Frontera, ville paisible de 13000 âmes. La ville constituée de maisons blanches dont la couleur reflète la chaleur, paraît fixée telle un nuage sur une grosse colline qui s'élève à 300 mètres d'altitude. La pluviométrie n'est que de 500 millimètres par an. Le climat est de type méditérranéen, mais avec aussi une légère influence de l'atlantique.
La ville abrite plusieurs coopératives locales qui produisent aussi bien des produits dérivés du raisin que de l'olive. L'Andalousie n'est d'ailleurs qu'un vaste champs d'oliviers, ponctué de quelques vignobles comme Jerez, Málaga, Montilla-Moriles...
Toro Albalá fait partie des caves influentes de la région. Elle produit environ 300 000 bouteilles par an à partir d'un cépage blanc unique : le Pedro Ximénez dit le PX. Les vins sont classés en D.O (Denominación de origen) Montilla-Moriles.
Nous sommes accueillis par Luis dans la salle de dégustation. Cette salle est chargée d'histoire comme en témoigne les nombreux livres sur le vin et les objets qui se rapprochent du même sujet. En décoration, il y a aussi des fûts contenant encore du vin. Il y a une tradition : sur tous les fûts de chêne américain, on est obligé de marquer un petit mot, signe de son passage à Aguilar.Luis est chargé de nous faire la visite et de nous transmettre un peu de son savoir sur la bodega qu'il connaît comme sa poche !
L'histoire de cette cave remonte au 19 ème siècle et plus précisement à 1844. Elle fût fondée par Antonio Sánchez Romero dans un moulin dénommé "la Noria", près du château de la ville.
En 1922, José Maria Toro Albalá restaure une ancienne centrale électrique et y transfère alors l'activité entière de la bodega. Une cuvée s'appelle d'ailleurs "Electrico".
José Maria Toro Albalá est un passionné d'histoire, d'archéologie et collectionne à peu près tout ce qui peut être réuni sur cette terre. Il y a d'ailleurs un très joli musée que l'on visite lors du parcours : fossiles, lunettes d'astronomie, appareils photos, disques, lampes à huile romaine, insectes...
Tout y est. Même les vestiges des premiers vins vinifiés, dont la bodega a gardé un fût de 10 litres pour chaque étape importante. Ainsi, vous trouverez comme témoins du passé "la Noria", premier vin de la bodega (vin ancestral de 1844 que j'ai eu le privilège de goûter), "la Fundacion", vin témoin de la naissance sous le nom officiel de Toro Albalá...
"la Noria et Fundación", témoins du passé de Toro Albalá
Nous commençons à visiter les installations : les cuves de Fino (la version "sec" du PX). Il y patientera quelques années en cuves inox avant d'être mis en fût.
Puis nous passons devant les fûts d'Oloroso, qui sont stockés à l'extérieur, mais abrités sous un toit haut.
Les fûts d'Oloroso qui patientent bien des années dehors
Au fait, vous lisez Fino, Oloroso... C'est exactement la même classification que le "Jerez", vignoble
également andalou (proche de Cádiz, d'influence atlantique) et très prisé par les anglais. Seule la version sucrée diffère : le "dulce" pour la DO Montilla-Moriles et le "Cream" pour la version Jerez. Outre cette différence, les Jerez utilisent un seul cépage blanc : le Palomino.L'Oloroso, au contraire du Fino, ne bénéficie pas de l'élevage sous voile, apparent aux vins du Jura non ouillés
Mais revenons à nos moutons. Certains fûts contiennent de l'Oloroso âgé de 50 ans, mais aussi quelques vieillards de 80 et même 120 ans ! Nous n'aurons pas la chance d'y tremper nos lèvres. Mais bien d'autres surprises nous attendront.
Un bref passage devant les imposantes
cuves de fermentations (200 hl chacunes)
Luis nous emmène au coeur de la Bodéga : le chai de vieillissement. La fraîcheur qui y règne est vraiment la bienvenue ! Autant le dire tout de suite, ça ne ressemble en rien aux magnifiques chais bordelais, nickels, bien rangés et à l'hygiène quasi clinique. Mais on sent une âme, une atmosphère. Il y a des milliers de bouteilles vides du monde entier, vestiges des dégustations faites ici. Là, respect : quelques milliers de fûts sur 4 étages attendent patiemment jusqu'à 80 ans parfois la mise en bouteilles. J'avoue ne pas avoir trop compris la méthode de classement : il y a des fûts partout et aucune marque spécifiques pour s'y retrouver hormis les mots gentils des touristes marqués à la craie sur les fûts.
Mais Luis, lui sait où il plonge sa pipette. Tenez, voici un Amontillado de 1949. Il a commencé son élevage sous protection d'un voile et a entamé un début d'oxydation. On y ajouté ensuite de l'alcool pour ensuite terminer son élevage en fût. Ce dernier lui confère beaucoup de gras tout en étant sec : la robe est acajou, avec des notes d'amande, de noix et de cerise à l'eau de vie. C'est très complexe mais surtout ça reste équilibré malgré les 20% et la température ambiante.Il nous entraîne dans une autre allée, où sa pipette plonge alors dans un fût de "Dulce". C'est un 1970, qui patientera la mise encore quelques années.
L'élaboration du "Dulce" à partir du cépage Pedro Ximenez est à la région Montilla-Moriles ce que la pourriture noble est à la région Sauternes. Au moment de la vendange du cépage Pedro Ximenez début août, le climat doit être sec aussi bien la journée que la nuit. Le raisin pousse dans des zones sablonneuse, dont le relief est léger.
photo Toro Albalá
Dès la cueillette du raisin, des maillages sont disposés au sol pour y recevoir les grappes entières. A ce stade, le raisin atteint 14 degrés beaumé (densité de sucre). Le processus est en marche : la dessication du raisin est poussée à son paroxysme sous l'effet des 55°c au sol et de la quasi inexistance d'humidité dans l'air.
photo Toro Albalá
10 jours plus tard, les raisins sont disposés sur des pagnes circulaires ("las Capachetas" faits de fibres de noix de coco) au sol pour y séjourner encore quelques jours jusqu'à flétrissement total de la baie !
Puis le raisin est mis en cagette et direction la bodega pour y être pressé. De là sort une pate un jus extrêmement collant dont le rendement ne dépasse pas les 20 hl. On récupère le marc pour le presser de nouveau via une presse hydrolique de 300 bars. Il faut 3 à 3,5 kg de raisin pour obtenir un litre de PX Dulce. Ce vin de presse mélangé au vin de goutte est alors muté par adjonction d'alcool vinique : maintenant, la liqueur fait 22 degrés beaumé et 9 degrés alcooliques : c'est ce qu'on appelle le "P.X 22x9".
photos Toro Albalá
Le vin est alors mis en cuve 6 mois pour clarification, décantation et pour que disparaissent les troubles organoleptiques du mutage (ajout de l'alcool).
Pour finir, le vin est en entonné dans des fûts de chêne américain de 1 an ("el joven del ano") à presque 50 ans pour les plus vieux. 450 grammes de sucre, 17 % d'alcool et une densité de 1.18 sont les caractéristiques de ce "Dulce".
Toro Albalá, c'est aussi de "el'Arope", une réduction de PX dulce dans un chaudron de cuivre et qui existait sous le nom de "Sapa" au temps des romains. C'est fameux sur les glaces et les crêpes ! On sent vraiment le raisin. Et aussi des vieux vinaigres balsamiques et de réserve sec.
Merci à Luis pour le temps qu'il nous a consacré ainsi qu'à sa soeur Rosario pour l'organisation de notre venue. Ici, on est loin des circuits touristiques de visites des caves bien arrangées. Enfin, nous avons pu toucher du doigt (et goûter) un mythe.
Toro Albalá
Avenida Antonio Sánchez, 1
Aguilar de la Frontera
14920 Córdoba
Tel : +34 957 66 00 46
@ [email protected]
http://www.toroalbala.com/