Article publié parallèlement sur Relatio-Europe.
Il y a des soirs comme celui-là où l'on part à la conquête de son histoire par la rencontre. Histoire de son pays, histoire de son Europe... Une vision externe, un vécu engagé et impliqué, un recul sur les événements et sur la marche inéluctable du temps emportant avec lui les rouages d'un manque de compréhension et de ... régulation nous plongeant dans une crise globale.
Un contexte de choix pour recevoir Michel Rocard, interrogé à la librairie Kléber par Daniel Riot (le directeur de Relatio-Europe, site à consulter sans modération). Un socialiste qui ne se focalise pas que sur son parti, c'est plutôt miraculeux par les temps qui courent... Mais inévitablement, il a été obligé d'aborder (ou plutôt d'affronter!) le sujet, et il a contourné le débat en comparant son parti à une grande maison dans laquelle règne la maladie, et qu'il faudrait pudiquement accompagner de silence. "Mon parti est malade, je fais silence" a-t-il dit simplement, accompagnant ce constat amer par l'expression de sa désapprobation vis à vis de l'omniprésence des médias qui massacrent la démocratie! Au profit du spectacle et de la polémique stérile qui attire l'audience, la double dimension du complexe et du long terme reste invisible; le tapage continue son carnage alors que seuls le silence et l'intimité peuvent permettre de cicatriser et de revenir à la normale. "L'intimité sociale est tuée par l'omniprésence médiatique". Beau sujet de réflexion je trouve.... surtout pendant que la presse est en train de se réformer sous le contrôle et la coordination de l'Elysée pendant que d'autres, par réaction organisent une contre-offensive avec les contre-états généraux de la presse!
Bref, le thème people éludé de manière élégante et grave, on a pu entrer dans le vif du sujet... Après 3 mandats en tant que député européen, Michel Rocard choisit de se retirer définitivement de la vie politique, pas à la manière de ceux qui veulent ensuite revenir comme des hommes providentiels, mais plutôt pour poursuivre son engagement et ses combats "par la plume", "par le verbe", comme l'a rappelé Daniel Riot. Et il anticipe un peu cette "retraite" à 78 ans (!!!) en publiant deux livres!
Un thème récurrent dans ces deux livres : l'Europe, une construction essentielle pour notre avenir, mais qui avance surtout au fil des contraintes, des difficultés, ... mais comme "la mécanique est réconciliatrice", il faut poursuivre ce trajet dans le sens du progrès pour notre civilisation. Ce qui sous-entend pour lui d'intégrer la Turquie, dont l'adhésion, comme il l'écrit "est une nécessité si l'on veut assurer une issue plutôt européenne qu'américaine au rééquilibrage du capitalisme contemporain ". Vaste débat dont les opposants à cette option sont souvent vainqueurs... Il appuie toute son argumentation sur une connaissance approfondie de l'histoire de la Turquie, meurtrie par son déni du génocide arménien ou par d'autres douleurs ancestrales, et qui depuis les derniers sultans s'est rapprochée de nous par la culture, l'économie, l'alphabet,le droit, suite à de multiples réformes... préférant assimiler des "façons d'être", car "l'avenir commun se contruit par une préparation commune". La 1ère demande d'adhésion date de 1959, et les reports successifs de réponses ne sont pas des réponses... Plus qu'un débat, cette réconciliation est présentée comme un défi, celui de l'Europe de la diversité, et comme une autre réponse possible, qui aura des conséquences sur nos relations avec les pays méditérannéens.Dans un autre registre, mais toujours dans l'optique de la construction européenne, il déplore le manque d'éducation économique des Français, et s'indigne de l'incapacité des partis politiques à construire un programme économique (il a eu l'occasion de tacler le MoDem en fin de soirée à ce propos... Jean Peyrelevade saura apprécier :-(...); les discours économiques sont nuls et incompréhensibles. La France porte d'autres handicaps, elle n'est pas à l'aise vis à vis de l'Europe, ne sait pas en parler non plus, et l'inexistence d'une Europe politique n'arrange bien sûr pas nos affaires... mais comme chez nous, on a tendance à confondre politique et puissance, on ne risque pas d'avancer... Seule la politique permet de définir et mettre en oeuvre une stratégie, alors qu'une puissance sans stratégie n'apporte rien de bon... et ne permet pas d'obtenir les résultats escomptés. Lire Notre Europe, - ouvrage collectif écrit par Michel Rocard, mais aussi Nicole Gnesotto, et avec la participation de grands noms tels que Geremek (son dernier texte), Cohn-Bendit, Jouyet, Lamassoure - ,lire ce livre donc, c'est se préparer à mieux comprendre les enjeux des prochaines élections européennes, et s'engager dans l'immense avenir porté par l'Europe qui n'a plus le temps d'apprendre, qui doit s'affranchir du joug britannique dans le cadre du déséquilibre engendré par la crise. On ne parle que de finance, de banques, alors que le déréglement est avant tout social... il y a une vraie opportunité pour l'Europe pour émerger, et sur la base du droit et de la négociation, pour répondre aux besoins de sa population.
Voilà, c'était ma soirée. Du coup, j'ai loupé la conférence de Jean-Pierre Jouyet. Mais ayant croisé Julien Viel lorsque je sortais de la librairie Kléber, je sais de source sûre qu'il nous prépare un compte-rendu sur son blog!