Sam a attrapé la crève, ce qui doit lui arriver tous les douze ans. Mais cette fois, c’est la bonne, il est hors circuit: le cerveau en bouillie, le nez patateux, les yeux larmoyants. Cora lui a même décoché un regard apitoyé ce matin, comme s’il avait cessé d’être Super-Sam, l’homme de toutes les situations, le seul mâle capable de faire 3 trucs en même temps, comme 1) surveiller la cuisson du repas, 2) raconter une histoire palpitante aux enfants, 3) imaginer un concept stratégique de génie pour le boulot. L’horreur, quoi.
Tellement l’horreur que Sam a ingéré une dose massive d’ibuprofène. Et au bout d’une petite heure, il s’est senti mieux. Même carrément prêt à damer le pion à cette saleté de crève, à ne pas se laisser faire, nom d’un chien! Prêt 1) à apporter la poubelle au container, 2) à rentrer la bagnole au garage, 3) à aller acheter une paella chez le traiteur. Cora allait voir ce qu’elle allait voir!
Sam a enfilé pompes et manteau, attrapé le sac à ordures et le trousseau de clés. Il est sorti de la maison, la démarche cool et altière. Un Super-Sam pur beurre, qui, arrivé au container, a balancé le sac d’un geste leste… et réalisé, en entendant un lugubre bling-blang-blong, qu’il avait balancé en même temps son trousseau de clés.
Mais au lieu de jurer, Sam a pris sur lui: être super-Sam, l’homme de toutes les situations, c’est être prêt à relever TOUS les défis. Après s’être assuré que personne ne le regardait, il s’est donc hissé dans le container où il a farfouillé avec opiniâtreté. Il lui a fallu vingt minutes d’effort et de puanteur pour récupérer ses clés dans un sac crevé d’où s’échappait du riz moisi. Saloperie d’adversité! Mais il l’avait emportée!
Sam était en train de s’extraire triomphalement du container quand il s’est retrouvé nez à nez avec Cora, qui rentrait du boulot. Le regard qu’elle lui a décoché était encore plus apitoyé que ce matin. «Seigneur a-t-elle murmuré. Rentre vite.» «Je pensais aller nous chercher une paella», a suggéré Sam. «C’est ça, une paella, a-t-elle fait en désignant les quelques grains de riz moisis qui étaient collés à son manteau. J’ose pas imaginer combien t’as de fièvre.»
Magazine
--> Partagez sur Facebook!