Sans-papiers et migrations: ne faites pas l'autruche ! (2/2)

Publié le 16 juin 2007 par Xime
-> lire la première partie de l'article
Positions des formations politiques démocratiques francophones
(1) Opposé à toute régularisation des sans papiers en dehors des régularisations ponctuelles (laissées à l'appréciation du Ministre et aux conditions plutôt restrictives) sur pied de l'article 9 alinéa 3 de la loi de 1980, le Mouvement Réformateur pratique indéniablement la politique de l'autruche en la matière.
Pour justifier sa position par rapport aux sans-papiers, la formation décrite par beaucoup d'observateurs comme étant "de centre-droit" se cache derrière le "sacro-saint" légalisme, comme l'avait dit Louis Michel lors de cette fameuse conférence qui s'était déroulée au Parlement Européen.
Sous le motif qu'un sans-papiers serait quelqu'un qui ne respecterait pas les règles et que, sous-entendu, il faudrait appliquer une présomption de justice et de bonté à toute règle démocratiquement établie, les libéraux considèrent qu'il n'y a pas lieu de régulariser la situation de personnes qui se sont mises hors la loi.
Il n'empêche qu'il est assez astucieux de la part du MR que de se justifier au moyen du principe du légalisme, assurément l'une des bases de l'Etat de droit. Il s'agit en effet d'un argument qu'on pourrait désigner comme "absolu" dans le sens où il serait si fondamental qu'on ne pourrait le nier.
Cela dit, lors qu'on est face à un dysfonctionnement du système et à des cas d'injustice, étudiant en droit de mon état pourtant, il ne me parait pas attentatoire au principe du légalisme que de prévoir une régularisation de la situation de personnes qui se sont retrouvées "hors-la-loi", sans que cela soit justifié à différents points de vue.
Partant, le MR refuse aussi de proposer une quelconque cessation du "stop migratoire" en vigueur depuis 1974, s'en tenant donc aux non politiques actuelles.
Toutefois, dans sa réponse au mémorandum de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) en vue des élections législatives, le Mouvement Réformateur semble indiquer tout le contraire puisqu’il dit qu’ « il est temps d’oser ouvrir le débat sur l’opportunité d’ouvrir notre marché du travail aux étrangers », constatant que beaucoup de migrants quittent leur pays pour des raisons économiques (et non politiques) et que, par conséquent, le stop migratoire favorise la clandestinité.
Est-ce là une manière d’introduire dans le débat politique l’ « immigration choisie » chère à Nicolas Sarkozy, lui-même cher à Didier Reynders ? Probablement puisque, tout comme le Président français, le MR confirme dans cette même réponse qu’il est opposé à la régularisation des sans-papiers en disant qu’ « il entend aborder la question de l’immigration économique autrement que par le biais de la problématique des sans-papiers ».
Soit dit en passant, je ne comprend toujours pas pourquoi le MR veut éventuellement ouvrir le marché du travail aux étrangers et refuse dans le même temps une quelconque régularisation massive alors que celle-ci pourrait participer–officiellement cette fois- à cette ouverture du marché du travail aux étrangers. C'est probablement un nouveau signe que son opposition à la régularisation se fonde principalement sur des motifs électoraux et sécuritaires.
A propos de cette réponse somme toute étonnante de la part du MR, mon expérience en tant qu’observateur extérieur mais attentif de la vie politique m’enseigne qu’il faut toujours plutôt se fier à ce que les hommes politiques disent d’initiative, plutôt qu’à ce qu’ils répondent à une interpellation –comme c’est le cas pour le mémorandum de la LDH-.
Dans cette optique, les propos du ministre de la Coopération au développement Armand De Decker (MR) le 26 avril dernier au débat électoral des Facultés Universitaires Saint-Louis (Bruxelles) doivent probablement recevoir plus de crédit que la réponse du MR à la LDH.

En effet, le candidat tête de liste MR au Sénat avait affirmé très clairement qu'il était opposé, au même titre que sa formation politique, à l'immigration économique ; in tempore (quasi) non suspecto puisqu’aucune question lui avait été posée directement sur le sujet et que le public présent n’attendait pas spécialement de lui qu’il tienne ce genre de propos.
A la suite d'une interpellation -mal amenée, malheureusement- de ma part à l'égard de son opposition à l'immigration économique, A. De Decker a, entre autres, justifié sa position par la peur de l'extrême - droite; indiquant que ce serait une catastrophe pour les partis démocratiques d'aller vers une plus grande ouverture des frontières, tant cela renforcerait les formations racistes et xénophobes. Tout cela me laisse sans voix: comment peut-on accorder ainsi autant d'importance à l'extrême - droite? N'est-ce pas là jouer son jeux?
Certes, l’ « intégration » des immigrés dans la société n’est pas quelque chose qui n’est pas sans poser quelques difficultés mais je suis persuadé que nos politiciens pourraient apporter de réelles solutions à ces quelques difficultés en prévoyant un nombre assez limité de mesures obligatoires à destinations des nouveaux migrants (répartition sur le territoire, formations citoyennes) et en s’efforçant d’instaurer un climat qui favorise la rencontre et le respect mutuel entre tous les concitoyens (nul besoin alors de cours de langue obligatoire, sûrement pas lié à l’obtention d’un logement social).
A l’instar d’un démographe français qui s’exprimait dans le Soir à propos de l’immigration et de l’intégration, il me semble qu’il faut adopter une vision réaliste de l’immigration et de l’intégration, c’est-à-dire ni comme quelque chose de génial, de facile et de parfait, ni comme quelque chose de catastrophique, d’inabordable et de non souhaitable à l’avenir.
Donc, dans cette optique, je vois dans l’attitude du MR un bon vent de populisme (la peur de brusquer la population dans sa conception du monde) et d’immobilisme (n’ayons pas de politiques volontaires en la matière ; cela pourrait nous coûter cher) sous le prétexte de l’avancée du grand méchant loup d’extrême – droite.
A noter que cela confirme le choix qui aurait été fait par le MR de choisir la voie des politiques sécuritaires en la matière, aussi improductives ou coûteuses soit-elles, au détriment de la voie de la rationalité économique et démographique, aussi intéressante soit-elle, par peur de l'extrême - droite et de la réaction du citoyen et du militant.
On pourrait alors croire (logiquement) qu’une telle position va à contre-courant de la vision que l'on a habituellement du Mouvement Réformateur à la fois comme chantre de la mobilité et de la flexibilité (où est la mobilité inter - étatiques pour tous là dedans?) et comme formation guidée par la rationalité économique (à cet égard, beaucoup d'études le montrent: l'immigration est intéressante).
Toutefois, une analyse de Mathieu Bietlot (ULB et Bruxelles-Laïque) prouverait le contraire, à savoir que les politiques migratoires restrictives répondraient justement à des impératifs économiques que M. Bietlot associe à la « dérégulation économique » actuelle.
A partir d’une étude historique des politiques migratoires, le philosophe et politiste constate que la gestion des politiques migratoires par nos gouvernements a toujours été imaginée en fonction des besoins de notre économie. Par conséquent, d’une manière assez convaincante, il en déduit que le « stop migratoire » maintenu par notre pays malgré les nombreux mouvements de population consécutifs à la mondialisation doit être justifié par des besoins économiques ; comme cela a toujours été le cas.
Selon lui, le « stop migratoire » toujours en vigueur dans notre pays servirait les intérêts de certains secteurs économiques où la flexibilité et l’aspect « bon marché » du travailleur clandestin répondrait parfaitement à des exigences de ces tissus économiques.
En d’autres termes, les travailleurs clandestins seraient les bénéficiaires –ils seront préférés aux travailleurs légaux- et en même temps les victimes –au niveau des conditions de travail et de leur absence de statut qui restera comme telle tant qu’ils serviront l’économie- de ces politiques migratoires qui les maintiennent dans la clandestinité malgré leur « utilité économique ».
Loin de moi l’idée d’accorder un crédit limité à une recherche universitaire mais il me semble que la raison principale du maintien du « stop migratoire » n’est pas l’apport économique de la main d’œuvre clandestine –les rentrées financières en cas de régularisation pourraient rapporter gros à l’Etat, comme en Espagne- mais, comme on l’a dit, la peur de l’extrême droite.
D’ailleurs, comment expliquer la régularisation massive décidée sous le gouvernement (bien) de droite qui était celui de Silvio Berlusconi si ce n’est par des facteurs purement économiques, ce gouvernement-là étant peu réceptifs aux arguments philanthropiques.
Je veux dire par là, sans bien connaître l’ampleur du mouvement de régularisation, que la bande du Cavaliere aurait sûrement préféré maintenir ces migrants dans la clandestinité si cela avait été si intéressant économiquement.
En outre, cela confirme qu’une régularisation massive est possible quand on n’a pas le spectre du retour de l’extrême droite, ce gouvernement Berlusconi constituant (quasiment) ce qui se faisait de plus à droite dans la Botte…
En somme, en prenant aussi en considération les chiffres et rapports avancés par Souhail Chichah dans son article (cf. première partie de cet article), la position du MR sur la question des sans papier et de la cessation du "stop migratoire" semble plutôt injustifiable, si ce n'est par la volonté d'apparaître en terme de communication politique comme "intransigeants" ou, en terme de positionnement politique, en rupture par rapport aux autres partis démocratiques francophones (favorables à la régularisation); le tout alimenté par la peur de l'extrême - droite.
(2) Présent à une conférence-débat à la fin janvier à Bruxelles sur la question de la régularisation des sans papiers, le sénateur socialiste Jean Cornil avait annoncé que le Parti Socialiste avait signé un engagement avec l'UDEP (Union de Défense des sans Papiers) pour faire de la question de la régularisation des sans papiers une "question de gouvernement" au lendemain des élections législatives.
Dans les semaines et les mois qui suivirent, "silence radio du PS" sur ce sujet alors qu'il me semble que l'on ne fait pas de n'importe quel sujet une "question de gouvernement".
Dans cette optique, il fallait s'inquiéter de ne pas voir Elio Di Rupo évoquer la question de la régularisation dans les médias, et surtout dans l'interview du Soir auquel avait eu droit chacun des présidents de parti pour exprimer leurs priorités de campagne.
On se dirigeait à ce moment presque assurément vers une nouvelle promesse non tenue, attitude typiquement politicienne me disaient les plus anciens...
Cela dit, quelques semaines après la création de son blog, j'avais décidé de poser sur le blog d'Elio la question de savoir s'il était vrai que le PS ferait de la régularisation des sans papiers une "question de gouvernement" au moment de former la prochaine majorité gouvernementale.
A ma plus grande surprise, le célèbre "Président (D')Crupo" (pour les intimes) m'a répondu himself (j'ai fini par le croire, entre autres avec cet article) par le biais d'un "post" consacré aux sans papiers que le PS ferait effectivement de cette question une "question de gouvernement" après le 10 juin.
Concrètement, le PS exigerait -le conditionnel semble être toujours de vigueur en matière politique- que la régularisation des sans papiers fasse partie de l'accord de gouvernement si, entre parenthèse comme l'indique Elio (encore un peu et il oubliait de le dire!), le PS est amené à y participer.
Seraient concernés les étrangers ayant entamé une procédure d'asile ou de regroupement familial dans notre pays depuis plus de 3 ans et ceux qui peuvent invoquer avoir des attaches durable en Belgique puisqu'ils y vivent depuis 5 ans au moins. Une commission indépendante de régularisation serait mise sur pied pour examiner si les cas individuels répondent aux critères clairs et précis de régularisation qui auraient été insérés dans une Loi.
A noter que la première catégorie des migrants (ceux ayant entamé une procédure depuis plus de 3 ans) ne peuvent pas nécessairement être désignées comme "sans papiers" puisque ces personnes sont toujours en procédure. Par conséquent, seule la seconde catégorie de migrants (ceux qui vivent ici depuis 5 ans au moins) est susceptible de concerner les personnes déboutées des procédures et ceux qui vivent dans la clandestinité depuis leur arrivée sur le territoire. Toutefois, par le fait de vouloir régulariser les migrants en procédure depuis trois ans, le PS semble donner un vrai signal de la reconnaissance de l’aberration de ces procédures trop longues et, peut-être, de la nécessité d'aller vers une cessation du stop migratoire.
Depuis lors, le programme électoral du Parti Socialiste pour les élections législatives a été dévoilé et il confirme (à la page 222) les cyber-dires d'Elio Di Rupo.
Cela étant, interloqué par le fait que le PS -Elio ne s'en cache logiquement pas- est "impliqué" entre autres dans la Loi dite "Dewael" qui a (version officielle) modifié la procédure d'asile dans le sens d'une diminution des délais, j'ai contacté Maître Olivier Stein, jeune avocat praticien du droit des étrangers, pour en savoir davantage sur le rôle -que l'on dit parfois "ambigu"- joué par le PS dans la problématique des sans papiers.
Premièrement, Olivier Stein indique que le PS a voté cette loi contre l'avis de l'UDEP et des autres associations impliquées dans la défense des sans-papiers.
En effet, il faut savoir que cette loi a supprimé le pouvoir d'instruction de la Commission Permanente de Recours des Réfugiés (futur "Conseil du Contentieux des Etrangers") alors que les recherches de cette instance étaient très utiles puique leur grande qualité permettait une étude approfondie du dossier. La procédure est désormais écrite devant cette instance et de nouveaux éléments ne peuvent, en règle, être invoqués devant elle.
En outre, la Loi "Dewael" a créé un "filtre à réfugiés" (excellente expression) au sein du Conseil d'Etat. Il semble que ce filtre soit un cas unique au niveau du Conseil d'Etat. Pour reprendre l'exemple d'Olivier Stein, cela n'existe pas pour les permis de bâtir mais il est évident que l'avenir de centaines d'hommes et de femmes est déterminé par l'obtention d'un permis de bâtir, ce qui n'est pas du tout le cas de la demande d'asile. Comme dirait l'autre (il se reconnaitra), cela relève de la plus pure logique.
En clair, comme me l'a très bien expliqué Olivier Stein, le Conseil d'Etat vérifie très rapidement si la jurisprudence en vigueur "donne une chance raisonnable à la demande d'aboutir" et juge la demande irrecevable si ce n'est pas le cas. Selon lui, cela peut entrainer de véritables dénis de justice puisque la porte n'est plus laissée ouverte à un quelconque revirement de jurisprudence en la matière, ceux-ci n'intervenant fatalement qu'après un examen approfondi des recours qui n'ont pas de chances raisonnables d'aboutir selon la jurisprudence en vigueur. D'ailleurs, comme nous l'annonce cet article daté du 26 avril 2007, 80% des recours sont concernés par cet éventuel déni de justice puisque quatre recours sur cinq (!) sont effectivement bloqués par le filtre mis en place.
Deuxièmement, il reconnaît que cette loi prévoit effectivement des délais très courts, mais cela aurait le désavantage selon lui de ne pas permettre à l'intéressé(e) de contacter une ONG de terrain qui apporterait des informations cruciales. Cela dit, c'est surtout les moyens utilisés pour parvenir à cette diminution bien réelle des délais qui sont critiqués. Deux exemples ont été avancés par mon interlocuteur pour illustrer le danger que représente la volonté -globalement légitime pourtant- de diminuer les délais. D'un côté, les avocats ne seront plus prévenus en même temps que leur client qu'une audition est prévue devant l'instance de recours (C.P.R.R., futur C.C.E.) et les clients qui ne comprendront pas la lettre ne le feront pas ou le feront trop tard. Dans ce cas qui pourrait devenir fréquent, un "refus technique" (non respect de la procédure) sera opposé au demandeur et on peut légitiment se demander si ce n'est pas là un excellent moyen pour déjà écarter pour ce simple motif toute une série de demandes. De l'autre côté, une autre cause d'exclusion de la procédure semble avoir été mise en place de toute pièce au nom de l'efficacité de la procédure (élimination de l'arriéré); toutes les personnes dont les demandes sont actuellement pendantes reçoivent un courrier leur demandant s'ils comptent poursuivre la procédure (quelle évidence !!) et à laquelle ils doivent répondre dans les trente jours, sous peine de voir leur demande présumée abandonnée et de perdre par conséquent tous leurs droits dans la procédure.La pratique judiciaire (les avocats laissent passer le délai,...) a fait dire à Olivier Stein que bon nombres de demandes pourraient être "évincées" par ce biais, excluant ces personnes de la procédure et les renvoyant de facto dans la clandestinité.
Plus généralement, du point de vue des délais, ce sont très principalement les délais à respecter par le demandeur qui ont été réduits et non ceux dans lesquels les instances chargées de donner une réponse à la demande doivent effectivement se prononcer; ce type de délais n'étant semble-t'il même pas déterminés dans la Loi afin de ne pas brusquer l'administration bien entendu.
Par conséquent, au vu de ces éléments, c'est plus l'objectif de l'exclusion de certaines demandes qui semble avoir été poursuivi par le législateur plutôt que l'objectif -qui aurait dû être le seul- d'accélérer la procédure.
Enfin, pour en finir avec l'analyse de cette Loi à laquelle on pourrait consacrée un post entier, il convient tout de même d'évoquer ce qui constitue indéniablement le grand silence de cette loi: la régularisation. La loi ne met rien en place à ce niveau (commission permanente, critères clairs...) et, partant, confirme (implicitement) le caractère arbitraire de la régularisation.
Elle se contente de prévoir une procédure particulière (jugée discriminatoire par le Conseil d'Etat) pour les demandes de régularisation basées sur des motifs médicaux et de mettre sur pied le fameux statut de protection subsidiaire qui "remplace" les demandes de procédure basée sur l'impossibilité de retour.
Pour la petite histoire, c'est ce statut qui fut demandé par les demandeurs afghans qui leur avait été refusé puisque le ministre de la Défense André Flahaut (PS) avait lui-même refusé, "pour ne pas empiéter sur les compétences du ministre de l'Intérieur", de reconnaître que l'Afghanistant était un pays en guerre. Comme le fait remarqué très justement Olivier Stein, il est très étonnant et interpellant de voir un ministre de la Défense craindre d'empiéter dans les compétences de son collègue de l'Intérieur quand il est question de dire si un pays dans lequel sont postés des soldats belges est un pays en guerre; il s'agit surtout d'un épisode de solidarité gouvernementale dont on probablement été victime les migrants concernés.
Plus généralement, à propos du rôle joué par le Parti Socialiste dans le vote de cette importante loi, le PS dit avoir contribué à en amender les aspects les plus attentatoires aux droits des demandeurs d'asile (c'est possible) mais a tout de même voté cette loi qui, on l'a vu, légitime l'aspect restrictif de la politique migratoire à travers ces procédés qui profitent de la moindre erreur (non respect d'un délai, ...) du demandeur d'asile pour l'écarter de la procédure et qui empêche toute évolution jurisprudentielle qui irait dans le sens d'une obtention du statut de réfugié.
Est-ce là une volonté du PS qui serait de restreindre au maximum les possibilités pour ces migrants d'obtenir un titre de séjour ?
Ou est-ce une méconnaissance flagrante des réalités des terrains" dixit Olivier Stein qui aurait été à la base du vote par les parlementaires socialistes de cette loi ?
Ou encore est-ce le manque de poids du Parti Socialiste dans le gouvernement qui l'empêche de prendre les mesures qu'il souhaiterait et de s'opposer aux mesures qu'il ne souhaite pas ?
Olivier Stein ne croit pas trop à ce dernier argument, constatant -probablement à raison- que le PS sait mettre du poids dans d'autres dossiers qui lui tiennent plus à coeur. Toutefois, je n'adhère pas totalement à cet avis, constatant que les autres partenaires de la majorité ne sont pas des partisants d'un assouplissement (...) des procédures migratoires (VLD et MR forcément, et le SP-A/Spirit aussi, vu le contexte flamand fait, entre autre, de peur du Vlaams Belang) et qu'il est tout à fait possible que le PS n'aie pas la marge de manoeuvre nécessaire pour influencer la prise de décision dans le sens d'une approche moins sécuritaire et procéduriaire.
Néanmoins, Je rejoints l'avis d'Olivier Stein sur le fait que c'est probablement (aussi) un manque de volonté des ministres socialistes francophones qui serait à la base de leur collaboration avec les partenaires gouvernementaux sur cette loi et sur des décisions aussi injustifiables soient-elles (des afghans qui ne pouvaient rentrer chez eux vu l'état de guerre reçoivent un ordre de quitter le territoire) du ministre de l'Intérieur.
Enfin, connaissant l'appétit de nos hommes et femmes politiques pour les effets d'annonce capables de leur procurer la reconnaissance individuelle et collective du bon peuple le jour des élections, il se peut que nos gouvernants socialistes préféreraient ces procédures de régularisation arbitraire plutôt que des procédures avec des critères clairs et permanents analysés par une Commission, en ce que l'arbitraire permettrait de mettre en lumière l'intervention (humaniste, voire salvatrice) d'un(e) ministre, d'un(e) député(e) voire d'un bourgmestre socialiste (par hypothèse).
(3) En ce qui concerne le Centre Démocrate Humaniste, sa position est particulièrement difficile à décrire. D'un côté, le parti rejoint le PS et Ecolo dans leur revendication d'une régularisation massive (à la différence que le CDH parle d'une régularisation "one shot" et dans un second temps des critères clairs et d'une commission permanente de régularisation); et de l'autre, on voit rarement Joelle Milquet et les quelques autres figures emblématiques du CDH prendrent publiquement position en la matière. De plus, certes on peut entendre des mandataires CDH s'exprimer sur ce dossier dans des débats (...) mais, à ma connaissance, on les voit rarement dans les manifestations et autres rassemblements réclamant la régularisation et une autre politique d'asile. Par exemple, lors de la manifestation organisée récemment à La Louvière, pas la moindre trace visible du soutien du CDH local, pourtant dans l'opposition communale et donc à l'abri de toutes les raisons policiennes qui l'empêcherait de militer pour cette cause.
Compte tenu de ces éléments, il est franchement difficile de croire que les éventuels futurs ministres fédéraux CDH auront la volonté qu'il faudra pour exiger une régularisation massive des sans-papiers, tant leur engagement semble guider par un positionnement politique dont je crains qu'il ne soit pas suivi d'actes, le cas échéant.
A propos des centres fermés, par l'intermédiaire de sa réponse au Mémorandum de la LDH, le CDH s'est exprimé, comme le PS, pour leur maintien sous conditions; à savoir, globalement, décision d'opportunité et de légalité par un juge, non enfermement de personnes inaptes médicalement, de mineurs non accompagnés et de familles avec enfants. Toutefois, plus que le PS au vu de sa réponse à la LDH, le CDH se dit favorable à toutes sortes de mesures visant à l'humanisation des centres fermés; telles qu'un plus grand accès aux centres pour les ONG ainsi qu'une Commission des Plaintes plus efficace pour se prononcer sur les plaintes des "détenus" des centres fermés.
Cela dit, je continue à penser que c'est bien trop peu pour un parti qui se dit "humaniste". Ne devrait-il pas purement et simplement exiger la fermeture des centres fermés, lieu de détention de six cents personnes qui n'ont d'autres torts que de chercher à tout le moins des conditions de vie plus dignes dans notre pays ? Le récent reportage de RTL-TVI sur les centres fermés nous a encore montré ce que sont réellement ces centres: des prisons (un peu) plus confortable que la moyenne dans lesquelles les détenus se demandent ce qu'ils font là et en vertu de quel droit (humain) les enferme-t-on. Quelle énorme détresse humaine en comparaison avec la très faible efficacité des centres fermés, comme nous l'avons indiqué dans la première partie de cet article.
Il me semble que le principe même du centre fermé va à l'encontre de tout "humanisme", à moins que cet humanisme-là ne soit pas celui du parti orange. Peut-être leur humanisme n'est qu'une dénomination stérile en engagements mais néanmoins susceptible d'attirer les déçus de la gauche et les électeurs complexés de droite ?
(4) En ce qui concerne ECOLO, au vu de leur abondant programme sur le thème "asile et immigration"(15 pages), les Ecologistes Confédérés pour l'Organisation de Luttes Originales apparaissent indéniablement comme la seule grande formation politique francophone désireuse de mettre sur pied une toute autre politique migratoire.
Dans les constats, ils dressent un constat très semblable à celui que j'avais dressé dans la première partie du présent article; à savoir celui entre autres de l'inhumanité ("une honte pour l'Europe et ses Etats-membres") et de l'inefficacité des (non) politiques migratoires mises en place par notre pays et ses voisins européenes depuis les années 90'("un échec").
Dans ses priorités en la matière, ECOLO propose premièrement d'"envisager transversalement la politique migratoire et (de) la décriminaliser". Derrière cette formule très théorique se trouve en réalité une idée très intéressante; à savoir celle de créer un Ministère des migrations qui reprendrait les compétences du Ministre de l'Intérieur en matière de politique des étrangers.
Comme l'indique le programme, "cette idée trouve son point d’ancrage dans le postulat qu’il faut sortir d’une gestion de l’immigration et de l’asile basée sur des impératifs sécuritaires".
Selon moi, cela permettrait avant tout d'envisager plus sereinement et plus généralement les politiques migratoires, en fonction d'impératifs sociaux au sens large et non plus en fonction des seules incidences de la présence des migrants sur la sécurité et l'intégrité du pays.
Toutefois, à propos de cette idée assez centrale du programme d'Ecolo, Jean-Michel Javaux a indiqué au débat des Facultés Universitaires Saint-Louis que son parti pensait à supprimer ce point de son programme en raison de la création en France du Ministère de l'intégration et de l'identité nationale. J'avoue que je reste très dubitatif par rapport à ce souhait qui aurait été celui d'Ecolo que de supprimer de son programme cette idée pour cette raison. En effet, au même titre que j'estime que c'est lui faire honneur que de reconnaitre que la peur de l'extrème-droite fonde même partiellement l'approche restrictive des migrations du MR (comme l'avait dit A. De Decker dans le même débat), c'est donner raison à Nicolas Sarkozy et à son initiative très contestable de lier l'immigration et l'identité nationale que de battre en retraite au niveau de l'idée d'un Service Public Fédéral migrations.
En outre, on peut franchement penser que le citoyen saura assez aisément faire la distinction entre l'idée d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale et un ministère des migrations.
Autres priorités intéressantes d'Ecolo; création au sein du Parlement d'un comité M chargé de la surveillance des instances du droit d'asile et des politiques des étrangers au niveau du respect du droit belge et international, fermeture des centres fermés, fin des expulsions collectives et des accords de réadmission visant à l'expulsion dans les pays de transit (Maroc, ...), obtention plus simple du visa pour combattre la clandestinité, repenser les canaux d'immigration du regroupement familial (supprimer les barrières au regroupement familial, sous condition de la prise en charge) et du visa d'étude (favoriser l'accès pour les étudiants des pays en voie de développements), simplifier la procédure d'octroi de permis de travail pour les migrants (au début de la procédure, l'employeur fournit une promesse d'engagement, sous la condition de l'assurance qu'il n'y a pas de main d'oeuvre disponible pour cet emploi afin d'éviter le dumping social).
Au delà de ces propositions relatives principallement aux politiques migratoires actuelles, Ecolo propose de tourner le dos à la conception utilitariste de l'immigration dont font preuve les pays européens depuis toujours. En effet, les verts proposent d'adopter des normes de protections européennes et internationales protégeant les droits des migrants, les intérêts des pays d'origine et les intérêts des pays d'accueil.
Selon eux, la réglementation relative aux migrations débordent de la réglementation nationale telle qu'on l'envisage actuellement, et doit aussi prendre en considération l'intérêts des migrants et des pays d'origine. A la suite de développements de cet article, on ne peut qu'encourager une telle proposition qui va dans la sens d'une réglementation beaucoup plus large des migrations.
De plus, Dans la lignée de sa conception du monde et des migrations, Ecolo propose d'ouvrir un nouveau canal de migration pour raisons sociales, économiques ou humanitaires; signifiant implicitement la fin du pseudo stop migratoire en vigueur depuis 1974 puisqu'ils estiment que les canaux d'immigration existants ne sont "pas suffisants pour envisager les différents aspects des migrations". Il s'agit en réalité d'un canal d'immigration complémentaire des trois voire quatre autres (asile, regroupemement familial, études, insertion directe sur le marché de l'emploi) et accessible sous la condition de répondre à des critères liés à la situation de l'individu dans son pays d'origine. Innovation: la demande se ferait depuis le pays d'origine et il y aurait une répartition au niveau européen en fonction des capacités des Etats membres.
En outre comme on l'a déjà indiqué, Ecolo proposent de définir des critères clairs et permanents de régularisation et de créer une juridiction administrative de recours de plein contentieux des étrangers (permettre au Conseil du Contentieux des Etrangers d'avoir une compétence de pleine juridiction pour tout le droit des étrangers).
De plus, au niveau de l'intégration des nouveaux arrivants, un accompagnement intensif des migrants, une valorisation de leurs acquis et une lutte sans relache contre les discriminations sont les priorités d'Ecolo.
Enfin, Ecolo proposent une revalorisation du droit d'asile en tant que droit fondamental à distinguer des autres voies d'accès au territoire et une protection particulière pour les migrants vulnérables (femmes, mineurs non accompagnés, migrants malades et victimes de la traite des êtres humains).
Au vu de ces nombreuses propositions en la matière, je ne peux que me féliciter de voir une formation politique redevenu assez importante proposer autant de réformes intéressantes en matière migratoire, tant ces réformes vont dans le sens des constats et solutions décrites dans le présent article.
Cependant, dans une (nettement) moindre mesure que pour le PS et le CDH, on peut parfois douter de la volonté des mandataires écologistes de faire de cette question de la régularisation et de l'avenir des politiques migratoires une question centrale. En effet, dans leurs interventions publiques, les secrétaires fédéraux (et mandataires) d'Ecolo ne font que très rarement référence à cette question pourtant centrale dans leur programme ou bien, quand ils y font référence, c'est parfois sans plus de convictions. Par exemple, au débat des F.U.S.L., alors qu'Armand De Decker venait de dire qu'il était opposé à l'immigration économique entre autres pour des raisons de peur de l'extrème-droite, cela n'a pas suscité la moindre réaction dans le chef du secrétaire fédéral Jean-Michel Javaux dont on vient pourtant de voir que son programme de parti était très loin d'épouser ce genre de thèses.
Rien qu'à ce niveau là, c'est le grand écart entre d'un côté, l'attitude et le discours et, de l'autre côté, le programme (particulièrement réformateur en la matière).
Est-ce là un moyen de s'attirer les suffrages d'un certain électorat bourgeois-bohème sensible à la cause environnementale mais relativement conformiste pour le reste et qu'un tel programme en matière d'asile et d'immigration pourrait effrayer ? Si cela se vérifiait, on pourrait y voir un nouvel exemple du fait que tous les partis politiques -même ceux qui se disent "éthiques"- tirent profit du fait que la toute grande majorité des électeurs ne lisent pas les programmes électoraux pour fonctionner à part entière dans le cadre de la société de l'image et de la politique-spectacle.
Par contre, au niveau de la mobilisation pour la régularisation, il faut reconnaître que les militants et mandataires écologistes sont particulièrement impliqués et que leur attitude correspond cette fois parfaitement aux propositions du parti concernant les politiques d'asile et d'immigration.
Conclusions
Depuis la rédaction de la majeure partie de cet article, les élections législatives ont eu lieu et, beaucoup plus que prévu, cela aura indéniablement des conséquences sur les suites qui seront éventuellement apportées par le prochain gouvernement aux revendications concernant la régularisation (massive) des sans-papiers et l'avenir des politiques migratoires .
En effet, au niveau des formations politiques francophones, la situation au sortir des urnes indique que seuls le Mouvement réformateur et le Centre Démocrate Humaniste ont de bonnes chances de faire partie du prochain gouvernement; le Parti Socialiste étant hors-jeu vu sa déroute électorale et l'annonce de la non-participation du SP.A au gouvernement, alors qu'ECOLO ne souhaite logiquement pas monter dans un gouvernement dans lequel il ne serait pas indispensable et qui souhaitera mener des politiques de centre-droit.
Quant aux formations politiques flamandes, seuls le CD&V-NVA;, l'Open VLD, voire Groen! peuvent prétendre à faire partie du prochain gouvernement; le SP.A ayant déjà annoncé sa volonté de rester dans l'opposition.
Traduction en terme de soutien à la régularisation des sans-papiers: les résultats des urnes ne laissent franchement augurés rien de bon, tant trois des quatres formations qui devraient être présentes au gouvernement (CD&V-NV.A;, Open VLD et MR) sont hostiles à la cause de la régularisation alors qu'on imagine très mal le seul CDH (déjà pas particulièrement pionnier dans le combat) imposer la régularisation à l'agenda du gouvernement.
De plus, vu le résultat au nord du pays, tous les analystes sont d'accord pour dire que les négociations pour aboutir à la mise en oeuvre d'un accord de gouvernement vont être longues et surtout très institutionelles. On peut dès lors penser que la question de la régularisation des sans -papiers, bien exigée par une grande majorité des partis francophones, ne sera en tout cas pas une priorité du prochain gouvernement, tout au plus une mesure très limitée.
Cela dit, rien n'indique qu'il faille baisser les bras devant tant de perspectives peu réjouissantes.
Il faut que ceux qui croient que notre pays doit offrir une solution digne à ces migrants sans-papiers et enfin mener des politiques réalistes, humaines et modernes en matière de migrations continuent à faire vivre ce combat unique dans nos espaces publics et médiatiques.
Tel le philosophe Philippe Van Parijs (UCL) qui s'est fendu hier d'une émouvante lettre ouverte dans La Libre dans laquelle il racontait avec beaucoup d'humanité le parcours d'une famille de sans-papiers albanais qu'il avoue avoir aidé à échapper à l'expulsion, le combat pour la régularisation doit rester avant celui de la solidarité entre les hommes et les femmes de ce monde. C'est surtout cette exigence de solidarité qu'il s'agit de propager à travers les mouvements pour la régularisation, la régularisation proprement dite ne pouvant que suivre et consacrer cette solidarité. La plus belle preuve de reconnaissance et de solidarité envers nos frères et soeurs sans-papiers est que nous continuons le combat, pour être à leur côté et pour continuer à répéter que nous n'acceptons pas et que nous avons même souvent honte de ce que font nos gouvernants avec eux et avec les migrants en général.
A ce propos, il faut signaler qu'une manifestation nationale pour la régularisation des sans-papiers sera organisée dimanche après-midi dans les rues de Bruxelles. Voila une manière de montrer que, malgré les résultats des élections qui ne devrait pas être favorable à la cause des sans-papiers, la mobilisation reste importante et que la question de la régularisation des sans-papiers doit se trouver sur la table du prochain gouvernement, quel qu'il soit.
Quant aux profondes réformes que nos gouvernements vont devoir engager pour répondre aux défis du XXIème sièle en matière de mobilité, j'ai bon espoir que les solutions que nous avons évoqués tout au long de ces quelques (!) lignes soient un jour ou l'autre consacrées au nom de la mobilité et de la dignité de tous, tant on constate que les solutions actuelles ne répondent même pas à leurs objectifs et que, pour que ce soit le cas, il faudrait rendre tout cela beaucoup plus sécuritaire, au prix de violations constantes des droits et libertés de tous. L'Europe n'a franchement rien à gagner dans ce combat, appelons là plutôt à chercher une troisième voie, celle de la Sagesse.