La Cour européenne des droits de l'homme a rendu le 20 novembre 2008 un arrêt (Brunet-Lecomte et SARL Lyon Mag' c. France, Cinquième Section, requête no 13327/04) portant une nouvelle fois condamnation de la France pour violation de la liberté d'expression (Art. 10). Dans ce cadre, la Cour a confirmé son approche protectrice de ladite liberté et a également précisé la question des atteintes à la réputation d'un fonctionnaire public.
La Cour, saisie de l'allégation de violation de la liberté d'expression, relève que la condamnation constitue une ingérence au sein de cette liberté, ingérence cependant prévue par la loi (§ 31) et poursuivant le but légitime de " protection de la réputation ou des droits d'autrui " (§ 32). Sur le terrain de la nécessité de cette ingérence, les juges strasbourgeois réfutent tout d'abord le caractère injurieux, " à lui seul ", du terme "énergumène " même s'il " possède incontestablement un caractère ironique ". A l'appui de cette analyse, la Cour souligne que " le style ou l'attitude de la personne visée par des propos qualifiés de diffamatoires ou d'injurieux par les juridictions internes peut entrer en ligne de compte dans l'appréciation de la nécessité de l'ingérence à la liberté d'expression". Or, ici, " l'attitude polémique du professeur a pu influencer le ton employé pour le décrire [...] dès lors, le propos litigieux n'a pas dépassé la dose d'exagération ou de provocation généralement admise de la part de la presse " (§ 35).
Sur la question plus spécifique de la qualité de " fonctionnaire public " de la personne visée par le terme litigieux, la Cour estime que " la publication contestée aborde un sujet suscitant de nos jours l'intérêt du public, de plus en plus désireux de recevoir des informations sur le fonctionnement et la qualité de l'enseignement universitaire ". A l'aune de ce constat et de l'absence de gravité des propos, il est relevé que la " mis[e] en cause [de l'universitaire] en sa qualité de professeur ne pouvait légitimement justifier une sévérité particulière dans le jugement ". Ainsi, la nécessité " de protéger la fonction et l'autorité morale de [l'universitaire], ne saurait, en l'espèce, l'emporter sur l'intérêt des requérants à communiquer et celui du public lyonnais à recevoir des informations au sujet du professeur et de ses méthodes d'enseignement " (§ 36). Jugeant également disproportionnées les sanctions prononcées contre les requérants (§ 37), la Cour condamne la France pour violation de la liberté d'expression.
S'il elle confirme que l'exposé d'un sujet d'intérêt public est susceptible de contrebalancer la nécessité de protection d'un fonctionnaire public (voir Mamère c. France, 7 novembre 2006, Deuxième Section, Requête no 12697/03 , § 27), la Cour semble attacher également une importance toute particulière à la nature des propos et des comportements dudit fonctionnaire (en insistant, presque pudiquement mais à plusieurs reprises, sur les "circonstances particulières de l'espèce "). Leur caractère " polémique" semble donc limiter la possibilité pour un fonctionnaire public de se prévaloir du régime particulier de protection tel qu'il est établi par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Brunet-Lecomte et SARL Lyon Mag' c. France (requête no 13327/04) du 20 novembre 2008
Lettre droits-libertés du CREDOF par Nicolas Hervieu
- voir aussi Arrêts cette semaine
La Cour a communiqué par écrit neuf arrêts de chambre le mardi 18 novembre 2008 ( Communiqué de presse)
et 10 arrêts de chambre le jeudi 20 novembre 2008 ( Communiqué de presse)