Note : 8/10
Deux remarques liminaires d’abord :
1/ pourquoi les Français s’acharnent-ils à dénaturer certaines traductions ? Cela est particulièrement flagrant dans les titres de certaines œuvres, qu’il s’agisse de cinéma ou de littérature.
Prenons ce livre : il s’intitule Chronique des jours à venir. Le titre anglais original est : A Scientific Romance. Rien à voir. Ce titre français est-il, dans l’esprit du traducteur ou plus probablement de l’éditeur, plus vendeur ? Met-il davantage en avant le côté anticipatif de l’œuvre ? Toujours est-il que ce changement n’est guère heureux, d’autant que le titre original renvoie à quelque chose de très précis : en l’occurrence, aux romans de SF de la fin du XIXe et du début XXe, Jules Verne et HG Wells en tête.
2/ malgré les tonnes de bouquins édités chaque année, il semble que les éditeurs français aient toujours à découvrir. Ce roman date en effet de 1997, il avait été élu "Livre de l’année" par plusieurs journaux dont le New York Times, pourtant il a fallu attendre juin 2007 pour qu’il paraisse en français. Etonnant, vu en plus le sujet assez "brûlant".
Chronique des jours à venir est, à première vue, un roman de science-fiction ou d’anticipation. Il se réfère explicitement à HG Wells, y compris dans la trame narrative elle-même. En effet David Lambert, le narrateur de ce roman, est un spécialiste reconnu de HG Wells, il lui a consacré de nombreux travaux universitaires. On le sait, l’un des grands romans de Wells c’est La machine à explorer le temps. Lambert est ainsi confronté à un document dont on ne sait, au départ, s’il s’agit d’un canular. Ce document, de la main de Wells, stipule qu’il aurait pris contact, un peu avant le début du XXe siècle, avec le grand savant Nikola Tesla (spécialiste de l’électricité). Ce dernier l’adressa alors à l’une de ses brillantes disciples, Tatiana Cherenkova. Après une correspondance, Tatiana rejoint Wells à Londres, ils ont une liaison tout en travaillant à un projet fou : rendre réelle la machine imaginée par Wells dans son roman. Ce qui va finir par arriver.
David Lambert, à l’aube de l’an 2000, miné par la mort de son amante Anita (elle était à l’origine la fiancée de son meilleur ami Bird, ils formèrent durant leur jeunesse un trio soudé qui devint un assez malsain ménage à trois), s’engage donc sur les traces de cette machine. L’ayant retrouvée, il programme un voyage vers le futur, 500 ans plus tard.
Le monde dans lequel Lambert échoue a beaucoup changé : Londres est recouverte d’eau et de jungle, de même que tout le reste de l’Angleterre jusqu’en Ecosse. Lambert ne sait pas exactement ce qu’il s’est passé mais ses observations et ses recherches lui permettent de penser que le réchauffement climatique et des épidémies à grande échelle (vache folle notamment) sont les premiers responsables d’un dérèglement général de la société, qui devait aboutir à une extinction complète de la civilisation britannique (et probablement mondiale). Pendant les deux tiers du roman, Lambert pense être le dernier homme sur l’île. Ce n’est qu’en remontant au nord d’Edimbourg qu’il rencontrera une tribu, les MacBeath (sic), dont l’hospitalité laisse à désirer.
Je le disais, Chronique des jours à venir est, à première vue, un roman de science-fiction. Mais il est bien plus. Sa forme littéraire d’abord, le journal de David Lambert (adressé d’abord à son ami Bird puis à son grand amour défunt, Anita), est propice aux allers et retours temporels, à une narration fragmentée et éclatée, soumise aux ellipses, à l’éventuelle mauvaise foi (voire au délire) du narrateur, ce qui pose sur l’histoire en train de s’écrire un voile de suspicion très postmoderne.
L’intrigue est également un roman d’amour assez poignant, élégiaque dans la mesure où l’interlocutrice du narrateur, Anita, est désormais disparue. Plus encore, le roman est truffé de symboles et d’allusions mythiques (la Bible, Shakespeare) ainsi que de citations d’œuvres du patrimoine littéraire et philosophique mondial, patrimoine en perdition. L’Angleterre de l’an 2500 renvoie, en écho, à la situation du David Lambert de l’an 2000 : orphelin, archéologue, il semble que la destinée de Lambert soit de vivre dans les ruines et de tenter (vainement) de faire revivre un passé englouti. Au passage, Wright livre quelques réflexions ironiques sur la britannité.
Chronique des jours à venir est également un roman réflexif (mais pas didactique) sur l’écologie, la technique, le progrès et le devenir de l’humanité. Les conclusions de Ronald Wright semblent assez pessimistes : l’homme, au tournant du XXIe siècle, n’a pas été en mesure de retourner son ingéniosité technique pour assurer sa propre survie. Ayant poursuivi sa course folle vers l’accumulation, il a finalement provoqué sa propre perte. Il est allé droit dans le mur, gaiement, alors qu’il avait les moyens technologiques de maîtriser son environnement et de revenir en arrière avant qu’il ne soit trop tard. La force du roman est de nous transporter dans ce monde d’après, nous mettant en présence d’un futur vertigineux et apocalyptique qui pourrait bien être le nôtre.
Par ses différentes thématiques (l’environnement, la perte et le deuil notamment), Chronique des jours à venir aurait pu être un roman pesant, démonstratif, cliché. Ronald Wright a pourtant su éviter ces écueils, malgré quelques longueurs et quelques lourdeurs. Sans doute parce qu’il a composé un roman très bien construit, où la puissance de la narration prend toujours le pas sur les "messages" qu’il veut faire passer.