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Christophe Honoré à la rencontre des étudiants parisiens

Par Luc24

C’était ce Mercredi 19 novembre, à Sciences Po à Paris, près de Saint Germain des Près. Le ciné club du BDA projette à 17h , Ma Mère de Christophe Honoré. De loin, son œuvre la plus difficile et sulfureuse, adaptation du roman posthume de Georges Bataille. Je me souviens lorsque j’avais vu Ma Mère, lors de sa sortie en salles. Les 2/3 des spectateurs avaient quitté la salle et pour ma part j’en étais ressorti complètement déboussolé. Je l’avais regardé deux trois fois par la suite en DVD et avait gardé un avis plus que positif. Mais voilà presque deux ans que je ne l’avais pas visionné à nouveau. Cette séance de ciné club tombait donc à pic, surtout qu’après la projection suivrait un débat avec Christophe Honoré et Louis Garrel. L’occasion où jamais de revoir ce cinéaste dont je suis franchement amoureux et à qui je n’ai jamais réussit à adresser la parole concrètement. Avant de parler du débat, voilà donc l’occasion de faire une petite critique du film.

La critique  

Christophe Honoré à la rencontre des étudiants parisiens

 L'initiation au sexe, sombre et étourdissante

Pierre a 17 ans, est un garçon naïf et qui se cherche. Alors qu’il débarque avec son père dans la villa de sa mère dans les Grandes Canaries, il va se retrouver plus que jamais en eaux troubles. Sa mère, cette femme qu’il respecte, qu’il idolâtre même, n’est pas celle qu’il croit. Alors que son père décède suite à un tragique accident, Hélène (la mère) s’obstine à faire comprendre à son fils qu’elle n’est pas celle qu’il croit. « Je suis une salope, une chienne. Personne me respecte. » A partir de ce moment où l’éducation de Pierre est remis dans les mains de sa maman perverse, l’initiation à la débauche se profile. Le choc de savoir que sa mère a le vice dans la peau passé, Pierre va se laisser entrainer par elle au Yumbo, centre commercial qui se change en club à cul la nuit venue. Hélène laisse ainsi son fils entre les mains expertes de son amie Réa avant de disparaître avec elle et de le laisser en compagnie d’une de ses maitresses, la SM et vulnérable Hansi. Entre peur et excitation, fantasmes et limites, Pierre va faire son éducation sexuelle au risque de sombrer peu à peu dans une certaine folie…

Christophe Honoré à la rencontre des étudiants parisiens

Choisir d’adapter Georges Bataille pour son deuxième long métrage, il fallait en avoir des couilles ! Christophe Honoré en a et pour lui cette adaptation d’un roman sulfureux, posthume et inachevé, apparaissait comme une évidence. Lui qui conjugue amour de la littérature et du cinéma, voyait là une occasion de se faire plaisir en citant quelques uns de ses auteurs de chevets (Bataille, Dennis Cooper, Sarah Kane mais aussi Bret Easton Ellis) et aussi un moyen de laisser s’exprimer son envie de cinéma. Qu’on se le dise : Ma Mère est un choc, entre excitation et répulsion. Il y a d’abord le lien incestueux qui lie Pierre à Hélène. Un rapport mère/fils qui est de l’ordre de l’amour fou et qui pour la peine balaie toutes les limites. Isabelle Huppert prouve une fois de plus qu’elle est une actrice audacieuse et courageuse en acceptant ce rôle à la fois fort et sale. Louis Garrel, pour sa part, apparaît comme une révélation et livre un jeu pur, très loin de ses mimiques à la Léaud qui suivront pour ses autres collaborations avec Honoré. Ma Mère est donc un projet ambitieux et casse gueule, car on le sait, on dit souvent que Bataille est inadaptable. Adapter l’inadaptable, mais comment montrer l’in montrable ? Christophe Honoré montre parfois, suggère beaucoup et surtout parvient à partager avec nous la montée des désirs et l’ivresse de l’abandon de soi. Emblématique est ainsi cette scène dans le taxi où Pierre est à côté de sa mère et de Réa qui se galochent. Le grain de la photo change, on passe au ralenti, on a l’impression d’être dans une hallucination, un cauchemar, peut être un fantasme. Difficile d’oublier le rire strident de Joana Preiss, amazone vulgaire et en même temps sensuelle en diable.

Fascination, répulsion, excitation. Ma Mère est un film qui exige un abandon du spectateur. Laissons la morale au placard pour plonger avec Pierre dans la découverte de son moi obscur. Plus tard dans l’histoire surgit Hansi. Interprétée par une Emma de Caunes incroyablement belle et sensuelle, elle surgit pour parfaire l’éducation sexuelle de Pierre. Mais très vite on comprend que des sentiments naissent à l’intérieur d’elle et qu’elle est de moins en moins à l’aise avec sa sexualité débridée et ses comportements SM. Certaines expériences lui apparaissent désormais comme des traumatismes et elle aurait plutôt envie de revenir à une sexualité plus « soft ». Pierre, qui n’a pas encore perdu toute sa naïveté et qui a la figure enfantine, pourrait être son doux prince. On remarquera à quel point Hansi à quelque chose de maternel dans sa façon de caresser Pierre, de lui cacher les yeux lorsqu’il observe sa mère en plein ébat. Mais Hansi peut-elle vraiment faire le poids face à l’obsession de Pierre pour sa mère libertine ? Que désire-t-il vraiment dans le fond ? Tout le long du film, Christophe Honoré dresse le portrait d’un jeune homme à la découverte de sa sexualité. Et si Pierre s’affiche essentiellement avec des femmes, il est suggéré à plusieurs reprises qu’il pourrait bel et bien être homosexuel. En effet, son regard s’attarde de temps à autre sur des corps masculins, suscitant une certaine tension érotique.

Christophe Honoré à la rencontre des étudiants parisiens

De la prière à la perversion, Honoré suit le mélange dangereux et difficile Sexualité/Religion. En revoyant le film, j’ai beaucoup pensé aux films de Pasolini (Evangile selon Saint Mathieu mais aussi Théorème, Ma Mère pouvant être perçu comme un Théorème tordu et inversé). Les références bibliques se multiplient avec plus ou moins de réussite alors que la caméra d’Honoré suit Louis Garrel au cœur des dunes (plans magnifiques). On remarquera également la présence de zoom, traduction du désir, de l’envie aussi d’aller vers l’autre. Mais peut-on vraiment connaître quelqu’un ? Qu’est-ce que la sexualité peut révéler sur une personne ? Le mystère reste pratiquement entier. Enfin, il y a les Canaries, le décor, personnage à part entière du film. Avec ses nombreux touristes allemands qui squattent les bars où la sexualité n’a plus rien de tabou. Ils jouissent, ils s’oublient, à un tel point qu’ils deviennent comme des animaux, des créatures de la nuit qui perdent de plus en plus leur humanité à force d’étreintes mécaniques.

Christophe Honoré à la rencontre des étudiants parisiens

Ma Mère est donc au final comme on pourrait dire un film « difficile », qui en choquera beaucoup mais qui indiscutablement dispose d’une belle force. Alors que le générique silencieux pointe le bout de son nez, chacun reprend sa respiration. C’est comme si les spectateurs s’étaient eux aussi jetés dans l’eau de la piscine de la villa et étaient restés en apnée pendant 1h50. Revoir le film des années plus tard m’a permis d’observer à quel point il avait bien vieilli et la place importante qu’il occupe dans la filmographie de Christophe Honoré.

Christophe Honoré à la rencontre des étudiants parisiens

Le film terminé, nous avons dix minutes pour aller prendre l’air avant le débat. Quand je reviens dans l’amphi, Christophe Honoré et Louis Garrel sont en train de s’installer. Christophe Honoré à bonne mine, il s’est coupé les cheveux, affiche une belle ligne (détails purement superficiels mais qui font toujours plaisir aux yeux). Le public a plein de questions à poser et le cinéaste et son acteur fétiche sont super disponibles, ont le sourire et blaguent volontiers. L’ambiance est excellente et détendue. Dans la salle, beaucoup de jeunes filles venues observer leur fantasme ultime qu’est Louis Garrel mais aussi beaucoup de spectateurs pour qui la trilogie parisienne d’Honoré a été un moment particulier de plaisir cinéphilique.

Christophe Honoré à la rencontre des étudiants parisiens

Alors, forcément, on parle du tournage. Christophe Honoré avoue avoir été anxieux étant donné les nombreuses scènes dénudées. Louis Garrel, lui, dit avoir été relativement serein : il sortait du tournage de The dreamers dans lequel il avait déjà dû montrer son anatomie. Le réalisateur parle de son envie de faire une fiction sexuelle, il avoue d’ailleurs penser que ce film-là, bien qu’il soit un film auquel il tient beaucoup, est sans doute le plus difficile de sa filmographie. Il explique que 17 fois Cécile Cassard et Ma Mère sont des œuvres qu’il a a faite surtout pour lui, pour son plaisir de cinéaste, se permettre d’explorer des aspects particuliers auxquels il tenait. Par la suite, avec sa trilogie parisienne, il a tenu à s’ouvrir davantage au public.

Christophe Honoré à la rencontre des étudiants parisiens

Louis Garrel est plus détendu et vanneur que jamais, Christophe Honoré parle de sa double casquette écrivain/cinéaste, les spectateurs essaient de décrypter le film en sa compagnie…Un très bon moment, sans langue de bois. Le réalisateur n’est d’ailleurs pas revenu sur son livre « Le livre pour enfants » qui offrait un journal de bord du tournage de Ma Mère, entre autres (un bon bouquin aux allures de journal intime que je vous conseille vivement si comme moi vous êtes fana de Honoré cinéaste). Le débat prend fin après environ 1h30 de questions-réponses. Louis Garrel est assailli par ses fans qui lui demandent des autographes (Mélissa qui m’accompagnait à la projection a eu son moment d’extase quand elle a eu le sien ;)), moi je regarde Christophe Honoré, sans oser lui parler une fois de plus. Je repars heureux de là, croiser mon cinéaste français contemporain fétiche me remplit toujours le cœur de joie (soyons nian nian de temps en temps).

 

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