Extraits d’article du Monde en date du 1er novembre 2008
Frédéric Oudéa, directeur général de la Société générale, était à la peine, mercredi 29 octobre, au micro de RTL.
Il s’évertuait à justifier les quelque 1,3 million d’euros de stock-options que son patron, Daniel Bouton, PDG, venait de réaliser au coeur de la crise financière. « C’est pour payer ses impôts, expliquait-il, l’argent est dans les caisses du fisc. » M. Oudéa a-t-il convaincu les auditeurs de RTL ? Nul ne le sait.Il ajoutait : « Mais les stock-options récentes qui ont été distribuées à M. Bouton comme à beaucoup d’autres salariés, aujourd’hui, ne valent plus rien. »
Sur ce point, au moins, il n’avait pas tort : les stock-options « récentes » - distribuées en 2007 par exemple - quand le cours de la Société générale frôlait les 150 euros, ne valent rien quand, comme aujourd’hui, le titre avoisine les 40 euros.Pour un PDG, les stock-options peuvent représenter, au moment de leur attribution, de un à trois ans du salaire de base - contre trois mois pour un cadre supérieur. Cet outil, rendu célèbre par la bulle financière Internet de 2001, offre le droit d’acquérir, à échéance de cinq ans au minimum, et à un prix convenu à l’avance, un certain nombre d’actions de la société ou l’on travaille.
Si le titre a progressé en Bourse au moment où les options sont exercées, la plus-value peut enrichir définitivement le titulaire. Si le cours a chuté, les options ne méritent pas d’être exercées.En volatilisant la moitié de la capitalisation mondiale, la crise boursière a réduit à néant toute perspective de plus-value pour de nombreux cadres dirigeants dont la partie variable de la rémunération comporte des stock-options
En octobre 2008, dans les grandes entreprises où le titre a perdu jusqu’à la moitié de sa valeur, le climat est plus que morose. Chez Vinci, l’Oreal, Iliad, Rhodia, c’est un sujet qui dérange un peu. Le directeur des ressources humaines, « absent » ou « en voyage », préfère d’ailleurs ne pas s’exprimer sur le sujet.Pour les sociétés qui acceptent d’en parler, la réponse est partout identique : les cadres « sont informés des règles de fonctionnement de cet outil de rémunération. Les risques sont conn us », dit Pierre-Olivier Salmon, porte-parole de Peugeot (autour de 20 euros aujourd’hui contre 60 euros au début de l’année).
Dans la chimie, Arkema (environ 17 euros contre 45 euros au 1er janvier) et Air Liquide (un peu plus de 65 euros contre 85 euros début janvier) parient sur l’avenir : « L’approche est celle du moyen et long terme. Un effondrement conjoncturel ne remet pas en cause l’outil. » A BNP Paribas (environ 55 euros contre 75 euros au début de l’année), on se veut philosophe : « Qui sait de quoi demain sera fait ? »
Chez Total où l’on entre pour la vie, Jean-Jacques Guilbaud, secrétaire général, estime que les éléments de rémunération sont assez nombreux pour ne pas avoir besoin de mener « une réflexion particulière pour compenser les baisses de rémunération liées au cours de la Bourse. Le salarié de Total est un investisseur de long terme ».Ces aléas qui influent sur le moral des cadres ont amené des entreprises comme Air France à bannir les stock-options .
« Ce type de rémunération est un moyen pour les «jeunes pousses» des nouvelles technologies d’attirer des managers de haut niveau, mais pas pour n ous », assure un porte-parole de la compagnie.
Toutes les entreprises n’ont pas des positions aussi radicales. Sylvie Le Damany, associée du cabinet Landwell (réseau PriceWaterhouseCooper), fait remarquer que certaines ont « introdu it un «repricing», une nouvelle attribution à un prix plus adapté qui remplaçait l’ancienne ».
Nicole Goulard du même cabinet ajoute qu’une tendance se fait jour « pour l’attribution d’actions gratuites ». Chez HSBC, depuis juin 2005, les stock-options ont été remplacées par des attributions gratuites de titres liées à la performance. Idem chez Axa. Les stock-options qui ont fait la fortune du fondateur, Claude Bébéar, ont été bannies au profit d’une attribution gratuite, liée là aussi à la performance.Pour Jean-Michel Caye, directeur associé au Boston Consulting Group (BCG), les crises financières de 1987, 2002 et 2008 devraient amener des modifications profondes dans les systèmes de rémunération.
« Les dirigeants talentueux vont se méfier des outils liés à des cours de Bourse. Le salaire fixe et les primes seront l’élément central de la rémunération. »
Quant aux stock-options, elles ne risquent pas de disparaître, « car celles qui seraient distribuées aujourd’hui le seront à des cours massacrés, donc offrant un potentiel pour dans quelques an nées », assure-t-il.
En revanche, estime-t-il, la crise de 2008 devrait amorcer un tournant vers plus d’ « éthique ». Une banque qu’il refuse de nommer aurait ainsi introduit dans son système de rémunération des critères d’« éthique » et de « durabilité » qui pourraient faire école. Qui sait ?