EXTRAIT DE L'EPISODE 2 : "Devant l'émotion qu'il dégageait en chantant « A Montmerte » de Bruant, au cours d'un repas de quartier du Passage Cottin, j'ai pensé tenir l'explication. Il était comme frappé par la grâce et les nombreuses bouteilles éclusées au cours de la fête, n'expliquaient pas tout. "
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1. Edgar dit « La Filoche » - Episode 1/3
Edgar passa rapidement un petit plumeau vert fluo sur l’écran de son ordinateur, puis sur sa lampe, et, tant qu'à faire, sur toute la surface de son bureau. En ce lundi 18 mai 1997, une date qui n'a rien de particulier sinon qu'elle marque le début de mon récit, il attendait Alfredo, un pote argentin à lui. Il était 12h36...
Edgar Malandrin dit "La Filoche" avait installé son bureau de détective privé dans une de ces boutiques en déshérence qui abondaient à l'époque dans la partie basse de la rue Ramey. La sienne avait abrité une minuscule triperie dont le patron portugais s’était ouvert le ventre façon hara-kiri… (un procédé, somme toute, assez naturel pour un tripier)… quand le malheureux avait découvert que sa femme fréquentait le fils du charcutier d’en face.
Mais depuis qu’il possédait un téléphone portable, La Filoche passait beaucoup plus de temps dans les cafés des environs que dans ce local sombre aux odeurs de cave. Si quelqu’un le cherchait, il y avait toujours un commerçant du voisinage pour l’orienter vers le Royal Custine ou le Paradou où La Filoche disputait d’interminables parties de tarot avec les artisans du quartier…
En fait, Edgar ne se rendait à son bureau que pour prendre son courrier, consulter ses mails ou encore pour une sieste après un déjeuner trop arrosé.
Son bureau ! C’était d’ailleurs beaucoup dire : l’ancienne ouverture de la boutique, où s’insérait autrefois l’étal de la triperie, avait été bouchée par un mur de parpaings. On accédait maintenant à l’intérieur depuis le corridor de l’immeuble par une porte blindée munie d’un gros judas en cuivre rapporté de New York par une amie portoricaine. Une étroite fenêtre à barreaux, garnie d’une plante verte étique, donnait sur un puits de lumière dont le sol était jonché des détritus qui pleuvaient des étages supérieurs.
Le bureau proprement dit, une grosse planche marronnasse posée sur deux blocs de tiroirs, avait pour principale qualité de permettre, dans le tiroir du bas, le rangement en position verticale d’une bouteille de cognac Delamain VSOP flanquée de trois verres à moutarde. Le reste du mobilier était à l’avenant : une armoire métallique de rangement et une bibliothèque où s’alignaient dans un grand désordre des bottins et des annuaires de toutes tailles, des romans policiers et quelques anthologies de la poésie française.
(De quelques cours d’art dramatique pris ici ou là, Edgar avait gardé un goût prononcé pour la déclamation : des tirades de Cyrano surtout, plus quelques poèmes amples et sentimentaux).
Au fond de la pièce, complétant ce tableau affligeant, un lavabo douteux, un vieux coffre-fort peint en gris contenant quelques coupures de presse, un appareil photo, un trousseau d’une vingtaine de clés et un coup de poing américain.
(Son couteau à cran d’arrêt, souvenir de son père, dont la magnifique douille en corne sculptée tenait si bien à sa main, Edgar le portait toujours sur lui, dans sa manche ou dans sa botte, c’était selon).
* * *
Edgar avait rencontré Alfredo quelques semaines auparavant chez Sale & Pepe, un restaurant italien situé un peu plus haut dans la rue Ramey, dont la grande table d’hôte accueillait des hommes et des femmes solitaires en mal de conversation.
A cette époque, Samuel, le patron, prenait le temps, après le service, d’échanger avec les clients autour de délicieuses et rares pâtisseries siciliennes et d’une bonne bouteille de vin.
Alfredo, un homme trapu au faciès épais de gaucho, s’était vite intégré au petit groupe d’habitués que fréquentait Edgar. Grand voyageur, spécialiste du dressage des chevaux de polo, il apportait un peu d’air frais dans des conversations où, sans lui, la butte, sa lamentable évolution et les saccages par elle subis, tenaient toute la place.
Les plus réguliers du groupe étaient Brice, Humbert et surtout Guido Gada, un pilier du lieu. Cet homme (que nous retrouverons à plusieurs reprises dans ce récit), d’ordinaire discret et peu disert, devenait intarissable sur le sujet de l’Italie. A l’entendre, tout y était supérieur : les vins comme les fromages, la viande et l’art de la boucherie, la cuisine bien sûr, la littérature, la presse, la télévision, la démocratie, les routes, l’architecture, les bords de mer, les eaux de source et les paysages… sur les autres points, que ses amis n’avaient pas abordés, sans doute aurait-il soutenu, avec le même ton de démonstration tranquille qui ne cherche pas l’offense, que la richesse et la qualité de ce qui venait d’Italie ne pouvaient sérieusement être comparé à rien d’autre.
Guido par ailleurs intriguait fort par sa prodigieuse connaissance des courants ésotériques et hermétiques qui avaient traversé le siècle finissant. Des marottes occultistes que partageait Edgar depuis qu'il avait cru, en longeant le vieux cimetière par la rue des Saules, entrer en communication avec Yvon Le Loup dit Sédir qui avait en son temps rassemblé en lui, d'une façon équilibrée, l'héritage du Martinisme, de la Rose+Croix et de la Kabbale.
Edgar n’en était pas resté à Sédir, et chaque fois qu’il passait derrière les murs du cimetière St Vincent, il se mettait à l’écoute des tombes.
Il prétendait échanger régulièrement avec Marcel Carné ou avec Platon et Papou penchés à leur fenêtre perpétuelle.
Sans oublier bien sûr Utrillo, avec lequel il avait sans doute d’interminables conversations de soiffards.
Humbert lui rappelait parfois le ridicule de ce genre de croyances, indignes en tout cas d’un policier, fut-il détective privé, dont la qualité repose avant tout sur la rigueur d’analyse et les capacités de déduction.
― Tu oublies la pénétration psychologique, lui rétorquait Edgar, et les aptitudes à l’empathie avec les victimes ou avec les assassins eux-mêmes… Et pourquoi ce que l’on appelle l’intuition, sans savoir l’expliquer, ne serait-elle pas un message des esprits depuis leur triste séjour de l’ombre.
* * *
Alfredo voulait confier à Edgar une affaire pour le compte d’un cousin à lui, qui ne pouvait quitter Buenos Aires. Il s’agissait de retrouver la trace d’un certain Roberto Filippi, un compatriote installé en France auquel il avait confié des produits à vendre. Or depuis six mois Roberto n’avait plus donné de nouvelles… Pire ! Il avait quitté son meublé peu de temps après avoir reçu le colis.
― Peux-tu t’en charger, lui demanda Augusto ?
― Bien sûr !… Qu’est-ce qu’il devait vendre, ton Roberto ?
― C’est sans importance…
― Il me faut bien un début de piste.
― Des échantillons d’un nouveau produit, je crois… On ne m’en a pas dit plus.
― Ah bon ! C’est embêtant ! Et à ton avis, il s’est tiré avec l’oseille ?
― Il vaudrait mieux pour lui qu’il ait eu un empêchement sérieux, un gros cas de force majeure (tout en parlant Alfredo sort une photo de son portefeuille et la tend à Edgar)… Elle date de deux ans, à Buenos Aires… Quand il a disparu, Filippi habitait un appartement au 19, rue Eugène Sue… Prends le temps qu’il te faudra, l’argent n’est pas un problème pour mon cousin, c’est une question d’honneur avant tout…
― Une question d’honneur !?… C’est quoi ce truc, je risque quand même pas de me faire trouer le cul !
― Non, non… normalement... 2.000 francs tout de suite et 3.000 de plus quand tu auras repéré Roberto Filippi… Ça ira ?
― Aboule !
Ils décidèrent d’aller manger chez Sale & Pepe en souvenir du bon vieux temps.
Dès qu’ils eurent bu leur café stretto, Edgar s’en alla faire un tour au dernier domicile connu de Roberto, rue Eugène Sue.
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