Remercier les dirigeants

Publié le 07 septembre 2008 par Luming88

Le sport ne doit pas être mélangé à la politique. C’est ce que le gouvernement chinois a crié bien fort durant les mois précédant les Jeux Olympiques et la position qu’il a continuellement défendue. Mais les réalités sont quelque peu différentes et un grand nombre de Chinois ne s’y trompent pas.
Voici les
observations de l’un d’entre eux concernant les paroles de remerciements adressées par les champions olympiques aux dirigeants politiques. Et la conclusion qu’il en tire n’est pas apolitique.
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Pour un athlète, pouvoir obtenir la médaille d’or aux Jeux Olympiques, c’est le plus grand bonheur et ce qui vaut le plus la peine. Il est clair pour tout le monde que l’obtention d’une médaille d’or amène une forte récompense financière et des rentrées publicitaires. De plus, on devient pour les gens un héros national et où que l’on aille on est reçu par des applaudissements et des bouquets de fleurs. Un diplôme peut même être accordé par une université et une nouvelle voie s’ouvre dans ce temple consacré à la recherche de la vérité, le lieu où on a le moins besoin de faire des efforts physiques. Ne parlons pas de toute la sueur versée par les sportifs, de toutes les blessures occasionnées. Mais quand on a gagné une médaille d’or, n’est-ce pas le bonheur ? Cela n’en vaut-il pas la peine ?

Obtenir à la fois le prix matériel, la gloire spirituelle et le droit d’entrer à l’université, tout est le résultat de cette médaille d’or. C’est donc elle que les athlètes doivent remercier. Merci médaille d’or !

J’ai souvent noté en regardant les compétitions que du moment que nos athlètes sont victorieux, les journalistes les suivent immédiatement pour les interviewer: "vous êtes sûrement très heureux d’avoir obtenu cette médaille d’or, que voudriez-vous dire aux spectateurs qui sont devant leur poste de télévision ?" Ou bien "Que ressentez-vous après cette compétition ?"

Le champion dit alors, en train d’essuyer sa sueur et de récupérer son souffle : "merci aux dirigeants, merci aux dirigeants pour leurs attentions, merci à l’organisation de m’avoir entraîner, merci aux entraîneurs, merci à mes parents, merci à tous ceux qui se soucient de moi, merci à vous !" Ces remerciements incluent bien du monde dans un grand panier, mais pas le moindre remerciement n’a été adressé à cette médaille d’or qui pend au cou.

En faisant un peu attention, vous découvrirez que la première phrase de nombreux champions est "merci aux dirigeants", tels par exemples que le champion de tennis de table Ma Lin et celle de planche à voile Yin Jian. Et il ne s’agit pas uniquement des champions olympiques. Ceux qui ont participé à des conférences, des rapports, des cérémonies, des soirées, des célébrations ont sûrement déjà entendu ces paroles : "merci aux dirigeants, merci un tel et un tel, ce n’est qu’avec l’énorme soutien et les attentions d’un tel et d’un tel que j’ai pu obtenir un tel succès."

Les remerciements envers les dirigeants viennent-ils ou non du fond du coeur ? Peut-être que tout le monde est déjà habitué à les prononcer comme une expression toute faite, sans même le réaliser. Ou bien c’est juste dit pour la forme. De nombreux Chinois n’ont pas quitté l’ombre de la pensée traditionnelle ("féodale" en chinois, dans le sens de l’ancienne Chine, celle d’avant la libération au 20e siècle par les communistes) mandarinale, il faut absolument parler des dirigeants.

J’ai même entendu dire que pendant le banquet organisé à l’occasion du premier mois de son fils (une célébration traditionnelle en Chine un mois après la naissance d’un enfant), un père, sachant que des dirigeants étaient présents, a remercié ces dirigeants pour "leurs attentions et leur aide", des paroles incompréhensibles (dans un tel contexte). Quel rapport ces dirigeants ont-ils donc avec le fait qu’il a mis un enfant au monde ? Sa femme s’est-elle retrouvée enceinte grâce aux attentions et à l’aide des dirigeants ?

Que signifient conscience civique et personnalité indépendante ? Ne suffit-il pas d’exprimer normalement son respect envers les dirigeants sans avoir besoin de les encenser pour qu’ils ne se sentent plus pisser (traduction très libre de ma part) ? 

Nous remercions les dirigeants, qui remercient ceux placés au dessus d’eux. Mais il y a malgré tout un progrès historique. Il y a cent ans, tout le monde s’écriait d’une seule forte voix "merci à l’empereur pour ses bonnes grâces !" Et puis je pense à certains de nos athlètes devenus champions et qui s’effondrent en larmes avant de pouvoir parler et je me demande s’ils voulaient aussi remercier les dirigeants avant que leur voix soient coupées par les larmes.

C’est vrai, les Jeux Olympiques sont l’affaire de tout le pays, ils sont également le produit de l’économie planifiée et propriété publique. L’entraînement et la vie des athlètes sont gérés par le gouvernement. Que les sportifs remercient les dirigeants après avoir obtenu des médailles d’or, c’est la moindre des choses.

Cependant, (si l’on considère la question) du point de vue de l’honneur (apporté par ces médailles), je trouve que ce sont les dirigeants qui doivent remercier les athlètes. De l’or, c’est de la gloire apportée à la collectivité et également aux dirigeants. Cela démontre aussi qu’à tous les niveaux, les dirigeants et les entraîneurs ont choisi les bons candidats, les ont bien entraînés et les ont bien conduits. (…) Lorsque les dirigeants remercient leurs supérieurs, ce sont les athlètes qu’ils remercient dans leur coeur. Et lorsque les athlètes remercient les dirigeants, ce sont en fait leur médaille d’or qu’ils remercient.

Je pense soudainement aux questions posées par nos journalistes à Phelps et à Bolt, les mêmes questions concernant ce qu’ils ressentaient après la compétition. La réponse de Phelps fut : " je me sens très fatigué, j’ai vraiment envie de rentrer à la maison pour me reposer". Et celle de Bolt : "je remercie cette piste qui m’a donné la victoire". 

Remercier les dirigeants est devenu une habitude profondémment ancrée. Mais nous vivons dans une autre époque et il est temps de se débarasser de certaines habitudes profondémment ancrées. La politique évolue dans une direction éclairée et les réponses des athlètes aux questions des journalistes ne doivent plus être influencées par le bâton politique. Laissons-les être plus naturels dans le Nid d’oiseau et nous apporter davantage de plaisir.

Lorsqu’un jour, les dirigeants diront "merci pour votre confiance, de m’accorder ce siège et de me laisser servir les électeurs", alors la phrase "merci aux dirigeants" aura totalement disparu de la scène !