Les lumières se sont éteintes, un type est arrivé de l'arrière scène, il s'est posté devant le micro, a attendu que la clameur se fasse plus sourde. Puis avec une certaine fierté dans la voix, il a extériorisé tout son plaisir d'être là en nous affirmant :
“And now, ladies and Gentlemen… The Legend of Rock'n Roll ! CHUCK BERRY !”
Chuck est arrivé par la gauche avec son éternelle chemise rouge à reflets et son sourire légendaire. Le sourire a 82 ans, la chemise beaucoup moins. Un vieux monsieur, plus vieux que ne l'était mon père ou mon grand père, mais il tient bien debout le bougre.
Il va d'un côté de la scène à l'autre avec, en passant, un coup d'oeil aux filles. Il n'a pas perdu le goût des belles choses… Ce goût immodéré lui avait valu d'être condamné plusieurs fois d'ailleurs. Notamment lorsqu'il avait mis une caméra dans les toilettes de son restaurant. Les toilettes des filles évidemment.
C'était il y a longtemps, très longtemps dans un pays lointain. D'ailleurs tout ce qui est en rapport avec Chuck remonte à il y a longtemps. Le jeu de guitare par exemple.
Il est rarement juste, très très approximatif même, un doux euphémisme de le dire comme ça. La voix est chevrotante, comme celle d'un vieux disque des années 30 qu'on écouterait sur un vieux phono.
Mais bon il y a des musiciens qui représentent tellement dans la musique qu'on est prêt à leur pardonner beaucoup. Chuck en concert, c'est un peu comme si Elvis avait été là, c'est le rock personnifié.
Un artiste auquel plein de musiciens se réfèrent : Keith Richards, Paul McCartney, John Lennon, Bruce Springsteen et surtout Angus Young, le guitariste de AC DC.
C'est son maître, il lui a même piqué sa Duckwalk, le fameux petit pas chassé vers l'avant tout en jouant. Je dis bien piqué et non emprunté puisque Chuck ne nous l'a pas fait ce mardi 11 à Bruxelles. A croire donc qu'on lui a piqué !
A défaut de Duckwalk, Chuck plein de pêche, nous a fait des canards… au piano. Il a joué à plusieurs reprises à quatre mains avec son claviériste norvégien qui finissait par laisser le maître jouer, histoire surtout de pouvoir se boucher les oreilles presque irrespectueusement.
Chuck Berry nous a ensuite lu la lettre d'un ami, écrite sur un bout de papier toilette qu'il ne trouvait plus d'ailleurs au départ de ce que on peut appeler un sketche. “Ça doit être dans mon autre pantalon… Il se regarde un instant et… Mais c'est mon autre pantalon !” a t-il dit.
Juste avant qu'il ne reprenne sa gratte, un spectateur au fond de la salle lui a crié : ” Merci pour le rock'n roll Chuck !”
Chuck a regardé dans la direction du cri et a répondu : ” I don't know what did you say but… Okkkkkkkk !” Suivi d'un large sourire complice.
Il a en fait beaucoup plus parlé avec les gens qu'il n'a réellement joué. C'était mieux ainsi. Ses musiciens rattrapaient le coup pour les notes impromptues (!).
Même si Chuck a quasiment inventé le riff de guitare au sens de gimmick qui revient sans cesse, il faut bien reconnaître que dans sa musique, l'instrument qui est peut être le plus mis en évidence est le piano, comme chez Jerry Lee Lewis.
Il suffit d'écouter Johnny Be Good, Scool days, No particular place to go, Roll over Bethoven, Maybellene, My Ding-a-Ling qui a un côté chanson-à-boire de fin de banquet de mariage, pour se rendre compte de l'omniprésence du piano.
On a eu droit à tout ces morceaux plus quelques autres. Sur le final, La légende a demandé à une dizaine de jeunes filles de venir jouer les choristes et les danseuses à ses côtés. En réalité il s'est retrouvé au milieu d'une vingtaine de filles, la plus agée devait avoir le quart de son âge.
Une petite heure aprés son arrivée, Chuck est parti tranquillement de la scène, laissant tout le monde penser qu'il allait revenir.
Un type derrière moi m'a dit que Chuck ne revenait jamais pour les rappels. Il n'est effectivement pas revenu.
Un léger désordre s'est installé sur la scène. Les musiciens sortaient en ordre dispersé, des techniciens semblaient déjà remballer le matériel et Fraser Anderson qui avait fait la première partie prenait des photos de Chuck avant qu'il ne descende les escaliers en fond de scène.
Puis le second guitariste est venu devant le micro pour remercier les musiciens, dire un mot sur le public de Bruxelles et faire de la pub pour le site officiel.
Pendant le concert, je l'avais vu regarder vers Chuck avec des yeux plein d'étonnement à chaque note jouée qui n'était pas prévue dans la partition !
Mais lui aussi était prêt à beaucoup pardonner, plus que nous encore. Non pas parce que le type en rouge est une légende du rock, mais pour une raison bien plus importante que ça.
Le vieux monsieur de 82 ans est son père.
Chuck Berry Junior
Les mains du père.
Pour ceux qui n'étaient pas à l'écoute de Classic 21 :
Merci à Sun Productions.