L'élection de Barack Obama suscite l'inquiétude de ceux qui redoutent de voir les États-Unis laisser Téhéran se doter de la bombe atomique.
«C'est alors que le soleil s'est arrêté.» Exactement comme il s'arrêta pendant vingt-quatre heures dans la Bible, à la demande de Josué, afin de permettre à l'armée d'Israël de vaincre ses ennemis amorites. À l'époque, Leev Raz y avait vu «la main de Dieu». «C'était ma première sortie en avion hors d'Israël : je ne savais pas que lorsque l'on volait longtemps et rapidement vers l'ouest, le soleil ne se couchait pas». Ce dimanche 7 juin 1981, l'ancien commandant des huit bombardiers israéliens chargés de détruire le réacteur nucléaire d'Osirak, au sud-est de Bagdad, venait d'exécuter la mission la plus délicate de sa carrière. Six mois d'entraînement, trois heures de vol, une frappe unique, une «énorme tension» et «beaucoup de chance» de ne pas avoir été intercepté par la chasse irakienne.
À 61 ans, ce héros baraqué et grande gueule, qui a contribué à débarrasser le monde de la menace nucléaire irakienne, caresse, nostalgique, la maquette d'un chasseur F15 offerte par l'état-major de Tsahal, l'armée israélienne. «Quand on a fait ça, confie-t-il, il est presque impossible de retourner à la vie normale. Tout paraît si futile.» Ce regret du temps passé ne l'empêche pas de se poser de manière récurrente la même question que tous les responsables politiques et militaires israéliens : après l'Irak en 1981, faut-il bombarder aujourd'hui les installations nucléaires iraniennes ? Et, si oui, qui le fera ?
«Beaucoup espéraient que George Bush réglerait le problème avant de quitter la Maison-Blanche. Inutile de vous dire qu'ils sont déçus», explique Amos Harel, le correspondant Défense du Haaretz. Vaincue par l'Obamania qui a saisi une grande partie du monde, la langue de bois officielle pourrait se résumer par cette formule d'Eyal Zisser, le directeur de l'Institut Moshe Dayan de Tel-Aviv : «Tout ce qui est bon pour les États-Unis est bon pour Israël.» L'élection de Barack Obama a pourtant été accueillie avec inquiétude dans les milieux politiques et militaires. «Les Israéliens estiment qu'il est naïf de penser pouvoir se débarrasser de la menace iranienne grâce à la diplomatie. Ils craignent qu'après il soit trop tard pour agir», ajoute le spécialiste du quotidien israélien. Selon les rapports des services de renseignements locaux, les Iraniens pourraient avoir la bombe nucléaire entre la fin de l'année 2009 et 2012. Une perspective que tous les responsables refusent. L'arrivée d'un «doux» à la Maison-Blanche, qui a dit son intention d'ouvrir des négociations avec Téhéran, a donc ravivé un débat qui domine depuis plusieurs années la scène politique israélienne.
Livraison de bombes perforantes
8 heures du matin, c'est l'heure de pointe au quartier général de Tsahal, le pilier de la société israélienne, à Tel-Aviv. À l'entrée de ce bâtiment gigantesque, presque arrogant, construit au cœur de la capitale, des filles aux treillis taille basse, très tendance, et des garçons hypermusclés se bousculent par centaines dans les chicanes, sous les yeux suspicieux de la PM, la police militaire, qui veille sur la décence des tenues vestimentaires. Au 8e étage, un officier appartenant à l'aile dure de Tsahal annonce la couleur, anonyme mais glacial : «Quarante-cinq ans après l'Holocauste, il n'est tout simplement pas possible qu'un chef d'État, en l'occurrence Mahmoud Ahmadinejad, annonce chaque semaine son intention de détruire Israël, tout en poursuivant ses efforts pour acquérir la bombe. Nous n'accepterons jamais un Iran nucléaire. Toutes les options sont sur la table.»
Comme pour lui faire écho, le premier ministre Ehoud Olmert a appelé dimanche la communauté internationale et «le monde libre» à renforcer les mesures destinées à arrêter la bombe iranienne. Pour les responsables israéliens, l'avènement d'un Iran nucléaire, en créant un bouleversement stratégique au Moyen-Orient, aurait de graves répercussions sur Israël. Pas seulement à cause du risque de guerre nucléaire. Mais aussi en raison des initiatives que les alliés de Téhéran dans la région, le Hamas et surtout le Hezbollah au Sud-Liban, pourraient prendre à l'encontre de l'État hébreu.
L'officier de Tsahal n'en fait pas mystère. Malgré le sentiment de puissance ressenti en haut de cette immense tour où grouillent les uniformes, il sait que les vitres et les hommes ne résisteront ni aux missiles iraniens ni à la bombe nucléaire : «Alors oui, nous nous préparons aussi à la solution militaire », reconnaît-il. En juin dernier, une centaine de pilotes de chasse ont simulé une attaque contre l'Iran au-dessus de la mer Méditerranée, près de la Grèce. L'armée israélienne a commandé des bombardiers F35 américains. Les États-Unis ont aussi livré cet automne à Tsahal des bombes perforantes de type GBU-39, considérées comme les plus modernes du monde, capables de transpercer du béton armé. «Si vous voulez la paix, préparez la guerre. Les forces aériennes israéliennes s'entraînent à frapper l'Iran depuis deux ans. Aujourd'hui, elles sont prêtes», assure Leev Raz.
Certes, mais prêtes à quoi ? Car l'ancien pilote de Tsahal est le premier à le reconnaître. La tâche sera bien plus difficile et aléatoire en Iran qu'elle ne le fut en Irak en 1981. Ou même en Syrie en septembre 2007, lorsque des avions de chasse israéliens ont tiré des missiles contre une installation nucléaire.
«En Irak, il y avait un seul réacteur. En Iran, il y a une vingtaine de sites à détruire. La plupart sont enterrés sous des montagnes et beaucoup nous sont inconnus. Il y a deux ans, une intervention aurait été possible. Aujourd'hui, il est sans doute trop tard pour anéantir les capacités de production nucléaires de l'Iran. Le programme de Téhéran est trop avancé », explique Leev Raz. Les insuffisances des renseignements concernant la bombe nucléaire iranienne ne sont pas seules en cause. «Israël n'a pas la supériorité militaire nécessaire. Il faudrait, pour venir à bout du programme, une campagne aérienne de plusieurs semaines et des troupes au sol pendant plusieurs mois », précise Martin Van Creveld, historien spécialiste de Tsahal.
Sans compter le prix à payer pour une frappe aérienne : la pluie de missiles et de roquettes que le Hamas et le Hezbollah ne manqueraient pas de faire pleuvoir sur le territoire israélien. Et tout cela pour un résultat très mitigé. «Pour des raisons à la fois politiques et géographiques, Israël ne pourrait se permettre qu'une seule frappe chirurgicale, sous l'effet de la surprise. C'est largement insuffisant pour détruire le programme iranien ou le retarder de manière significative», affirme l'expert militaire Reuven Pedatzur.
Spécialistes et responsables israéliens sont unanimes : seule la puissance militaire américaine peut débarrasser le monde de la menace iranienne. «Les États-Unis sont déjà déployés dans la région, ils contrôlent l'espace aérien irakien. Ils seraient les seuls à pouvoir renouveler les frappes et maintenir la pression militaire aussi longtemps qu'il le faut. Tout le monde ici préférerait qu'ils s'en chargent », analyse le général de réserve Shlomo Brom, patron de l'Institut d'études stratégiques Yaffe.
Ligne rouge : l'enrichissement de l'uranium
Seul problème : les Américains n'ont pas l'air très chauds. Son second mandat plombé par les guerres d'Irak et d'Afghanistan, George Bush semble avoir renoncé à ouvrir un troisième front en Iran. L'Administration américaine a refusé de fournir à Tsahal des avions ravitailleurs destinés à réapprovisionner les chasseurs en vol. Quant aux bombes à pénétration qui pourraient être utilisées contre l'usine nucléaire de Natanz, elles n'ont été livrées qu'au compte-gouttes. Même le radar antimissile fourni cet automne, avec des officiers et des techniciens américains, reste sous le contrôle de Washington. «Il s'agit d'un véritable changement stratégique. Israël ne peut plus agir sans la permission du président américain », regrette Leev Raz.
Le débat fait rage en Israël. Les uns et les autres se sont donné plusieurs mois de réflexion, jusqu'au milieu de l'année 2009, date considérée comme la dernière limite avant la ligne rouge que constitue l'enrichissement de l'uranium. «À ce moment-là, Obama aura probablement compris qu'il est impossible de négocier avec Téhéran. Sa politique sera plus claire. Et si les négociations échouent, la solution militaire paraîtra alors légitime», plaide le spécialiste Amos Harel. En cas de refus persistant des États-Unis, chacun avance sa solution. Les partisans de la diplomatie militent pour une paix avec la Syrie, qui permettrait de couper les bases et l'approvisionnement du Hezbollah et de mieux gérer la menace iranienne. Les défenseurs de la solution militaire, notamment dans l'armée de l'air, proposent qu'Israël frappe l'Iran même sans l'accord des Américains, pour gagner du temps, car la bombe iranienne représente une menace existentielle pour l'État hébreu.
Au milieu, les pragmatiques, comme Leev Raz, rappellent que «Kennedy avait en vain essayé d'empêcher Israël d'acquérir l'arme nucléaire» et qu'il serait «naïf» de «croire qu'on pourra dissuader Téhéran d'accéder au même statut». Certains semblent déjà s'être résolus à cette extrémité. «Le seul moyen d'empêcher les Iraniens d'utiliser la bombe lorsqu'ils l'auront sera alors de changer notre politique d'ambiguïté nucléaire», estime Reuven Pedatzur. Reconnaître officiellement un secret de polichinelle : le statut nucléaire de l'État hébreu. Mais comme le dit Amos Harel, il restera alors une autre question : «La vie sera-t-elle encore supportable en Israël lorsque la bombe nucléaire iranienne aura donné les mains libres au Hamas et au Hezbollah pour nous attaquer ?»