Au démarrage, le titre était « Le jour le plus con », mais à deux mois de jouer, on se rend compte qu’une pièce de Philippe Bruneau démarre dans un autre théâtre Parisien et porte déjà ce nom. Je remercie ici ce cher Philippe car, connaissant notre mésaventure, son aide fut plus que précieuse. Vous connaissez sa tête, il a tourné dans plusieurs films et fait beaucoup d’émissions télé avec Stéphane Collaro.
Mon départ laissait perplexe Philippe Bouvard car il ne comprenait pas qu’un des piliers de l’équipe, je le cite, quitte une émission avec une audience aussi élevée pour aller jouer dans un sordide café théâtre dont la durée de vie des pièces n’est pas assurée…
Nous eûmes des discussions intenses tous les deux, les yeux dans les yeux, mais ma décision était prise. Je lui expliquais que je préférais affronter tous les soirs un public différent, pas acquis d’avance, même si financièrement j’étais très largement perdant.
Il avouera plus tard que j’avais, certes du talent, mais un sacré caractère !
Je suis persuadé qu’il aime bien plus avoir du répondant en face de lui que des courtisans aux douces flatteries…
Mon pari s’avéra plutôt gagnant car cette pièce fonctionna très fort à tel point que TF1 en fit une captation télé, ce qui, à l’époque, ne se faisait quasiment pas.
Dans le même temps, je tournais en temps qu’ex sociétaire de la bande à Bouvard dans le film réalisé par J. Pierre Vergne « Le téléphone sonne toujours deux fois ».
Si vous vous procurez le générique de ce film, vous serez étonné de voir autant de noms aussi prestigieux les uns que les autres, notamment celui de Jean Réno, pas connu à l’époque, qui joue un tout petit rôle, le bras droit et tendre ami de Michel Galabru !
Dans la foulée, je mets en scène une pièce au « Sentier des Halles » qui parle du monde impitoyable des sectes et joue dans « Le Rapin », pièce qui ne fit bondir ni les critiques, ni le public, ni mon compte en banque…
Puis un jour je fus choisi pour tourner une publicité pour le cinéma. Elle était réalisée par Jacques Monnet et vantait les mérites d’une marque d'électroménager, « Darty », pour ne pas le citer. Ces pubs étaient très bien faites car elles racontaient à chaque fois une petite histoire de la vie de tous les jours et les spectateurs en étaient friands.
Vous vous rappelez de ce que me disait mon prof d’art dramatique :
« Pour réussir dans ce métier, il faut 50% de talent, 50% de gueule et 50% de chance. »
D’ailleurs, je me souviens lui avoir téléphoné pour lui dire, qu’il fallait rajouter à sa formule également 50% de piston. Ce métier en use et abuse assez souvent…
La gueule, je l’avais, et la chance allait frapper à ma porte de loge car par un bel après-midi, Claude Zidi et Didier Kaminka vont au cinéma voir un film et ont ainsi l’occasion de voir ma pub. Claude se penche vers Didier et lui dit à l’oreille:
« Il faut lui écrire un rôle à ce petit moustachu, il est très drôle. »
Didier Kaminka m’a raconté par la suite qu’il avait fait des recherches auprès des agences de publicité et que pendant une dizaine de jours, il avait écrit la scène du vol du sac sur un marché en pensant au petit moustachu de Darty…
Je rencontrais Claude Zidi qui me raconta la petite anecdote et rentrais chez moi pour lire le scénario. Je le rappelais aussitôt pour lui donner mon accord car je trouvais ce personnage très beau, touchant car, pour moi, il ne vole pas « pour faire mal » mais pour nourrir sa famille.
Le titre du film ??? : "Les Ripoux"
Rien que de savoir que l’on va tourner avec Philippe Noiret…
Ce qui me plait dans ce film, ce sont tous ces seconds rôles qui sont si bien écrits.
Allez ! Permettez que je pousse mon premier coup de gueule.
Le cinéma qui a bercé mon enfance était fait de films dans lesquels l’histoire était le cœur du projet. On n’avait pas peur de s’investir dans le scénario et les dialogues et, une des forces du cinéma Français était la multitude de seconds rôles qui faisaient la richesse d’un film.
De nos jours, en général, on fait d’abord un casting avec une ou deux têtes d’affiche, on écrit et on tourne dans la foulée. Puis c’est la ronde télévisuelle de la promotion. On vend son produit comme si il s’agissait d’un détergent.
Pour peu que le film marche à force de matraquage, on fait la suite puis le trois, voire le quatre…
Le public est, pour moi, en quelque sorte formaté, si tu n’as pas aimé ce film, si tu n’as pas ri, c’est que tu as très mauvais goût.
Je suis surpris de voir sur les colonnes Morris le titre d’un film en gros, celui de la « star » principale en très gros et, en tout petit en bas, les noms de ceux qui sont venus dire quatre répliques.
Combien de fois lit-on : « Avec la participation amicale ou exceptionnelle » !
Place à la star ou au people car les têtes d’affiches sont malheureusement, et, de plus en plus des produits « people ».
On les voit sur tous les plateaux de télé, racontant des histoires désopilantes, s’amuser entre eux, baisser leur pantalon ou s’asperger d’eau. Le chauffeur de salle excite un peu le public, standing ovation et le tour est joué.
Mais qui sont ces acteurs qui n’ont pas peur de se ridiculiser afin de faire rire la ménagère ?
Le pire est qu’ils sont tellement adulés par les chaînes de télévision qu’ils finissent par enchaîner films sur films et on en retrouve même certains exposés au Musée Grévin !
Tous ces « produits de consommation », vont-ils laisser une trace, est-ce qu’on parlera d'eux dans les générations à venir, leurs films resteront-ils dans la mémoire du grand cinéma Français ?
J’arrête là.
Ne voyez dans mes propos aucune haine, aucune jalousie, pas d’aigreur, pas d’esprit revanchard, ce n’est pas le genre de la maison.
Simplement j’aime mon métier passionnément et malheureusement je pense qu’il est en train de s’égarer car on ne cherche plus la qualité artistique mais on tente de faire des coups ! Business, money, rentabilité immédiate…
J. Pierre Gibrat disait :
« J'aime beaucoup les personnages secondaires, comme dans les films des années 30-40, des seconds rôles que l'on voit quelques minutes mais dont on se souvient toujours lorsqu'on repense aux films »
Je veux remercier tous ces seconds couteaux qui ont fait la grandeur de notre cinéma et qui m’ont donné envie de faire ce métier, je commencerai par Jean-Pierre Cassel qui vient de nous quitter, Paul Crauchet, Julien Carette, Noël Roquevert, Pauline Carton, Jean Tissier, Noël-Noël, Denise Grey, Pierre Larquey, Marcel Dalio, Dalban, l’immense Sylvie, pardon à ceux que je ne peux citer et ils sont légion…
J’arrête là ma séquence « Talents et émotions perdus».
"Les Ripoux de Claude Zidi"
A quelques jours du tournage, je prends le métro à la Porte de Clignancourt.
Je n’ai en tête que ce personnage du voleur qui dérobe le sac d’une dame âgée sur un marché.
Ce type a été pris en flag, il est interrogé, sûr de prendre de la taule et puis la situation bascule, on le dit honnête et on le relâche. Il sent qu’entre les deux flics, il y a quelque chose qui ne va pas. On lui retire les menottes et il part en courant sans demander son reste.
Il ne faut surtout pas jouer la situation, être dans la surprise mais ne pas jouer, ne rien faire.
Je sais que la séquence commissariat doit être drôle si elle est jouée façon « Caméra cachée », le personnage ne comprend pas ce qui se passe, ce qui lui arrive…
Je suis donc assis dans le métro et distingue un homme sur le quai dont la respiration est rapide, il est nerveux et vérifie sans cesse l’arrivée du métro. Je pense dans un premier temps qu’il est peut-être mal dans sa peau, je pense au suicide !?
Puis très vite, je vois un autre homme à une dizaine de mètres du premier dans le même état de nervosité. Visiblement quelque chose d’indéfinissable se passe entre eux deux.
Vous savez, un comédien reproduit les choses de la vie, il s’en inspire.
Là, je comprends que ces deux personnes sont en osmose et préparent, j’en suis sûr à présent, un mauvais coup.
Au fur et à mesure que l’on entend le bruit de la rame au lointain, je les vois de plus en plus tendus, puis le métro entre, ralentit et s’arrête.
Ils regardent en même temps les portes s’ouvrir, ne montent pas, observent les gens descendre puis un des deux fait un signe discret de la tête à l’autre. Deux dames descendent, chacune ayant un sac à main. Elles discutent avec force, les deux hommes leur emboîtent le pas, plus de doute, elles vont se faire piquer les sacs.
Je n’ai que le temps de sauter dans le wagon avant la fermeture, fou de bonheur.
Je viens de comprendre comment jouer la scène où j’arrive sur le marché, vois la vieille dame, son sac, jette un œil alentour et surtout, je viens de piger le stress qui doit être en moi.
Je sais comment mon personnage doit respirer, de façon haletante et nerveuse. C’est génial !
Arrivé à la station Simplon, je prends seulement conscience que je n’ai rien dit à ces deux braves dames qui vont se faire déplumer. Quel imbécile ! Trop tard…
J’étais trop dans mon film…
Le premier jour de tournage se passe sur le marché à côté de la mairie du 18° arrondissement.
Claude Zidi voit la répétition, je vois son œil s’allumer, je suis dans le juste. On tourne, tout se passe bien. On se cale avec Thierry Lhermitte afin qu’il me chope à un endroit très précis pour une question de point caméra. C'est-à-dire, il faut tomber là, il doit me plaquer au sol à une marque et pas ailleurs si on ne veut pas être flous à l’image.
Je cours un peu vite pour lui, je suis obligé de faire des pas de côté pour ralentir la course.
Heureusement, j’ai des genouillères car on recommencera la prise huit fois. Pour la séquence commissariat, je me retrouve en face de Philippe Noiret.
Lorsque l’on est jeune comédien, on a « les jetons », mais cet homme respire la sérénité, il parle posément, il est simple et bon. On tourne « Champ » sur lui, à savoir que durant la séquence, la caméra est sur lui, puis contre-champ, la caméra est sur moi.
A chaque fois, avec des valeurs de plans différentes, plan serré ou américain, plan large…
Monsieur Noiret fait les mêmes gestes en mimant les gestes quand la caméra est sur moi afin qu’il n’y ait ni parasitages de bruits de machine à écrire ou de papier.
C’est un vrai partenaire qui vous regarde dans les yeux et vous aide à donner le meilleur de vous-même.
Certains comédiens tirent la couverture à eux et sont bizarrement meilleur lorsque la caméra est sur eux, de préférence en plan serré afin qu’au montage, ils soient avantagés.
Ce n’est pas le cas pour ce grand acteur que je vais avoir le plaisir de retrouver avec Thierry Lhermitte dans « Ripoux contre Ripoux ».
Quel succès pour ce film ! César du meilleur acteur, du meilleur réalisateur et du meilleur film!
Le public m’en parle régulièrement et je sourie à l’idée que deux malfrats m’ont, inconsciemment, aidé à trouver mon personnage !!!
« A tout bientôt !!! »