En termes techniques, l’anxiété est l’émotion de l’identité, l’émotion reliée à l’identité. Elle est existentielle ou névrotique, appropriée ou exagérée. Lorsqu’elle est existentielle, l’anxiété est appropriée à notre condition humaine; si elle est névrotique, elle est exagérée et ses frontières dépassent le soin raisonnable pour la bonne conduite de notre vie. Ainsi dédramatiser l’anxiété, c’est réaliser que tous nous sommes anxieux, que tous nous ressentons l’anxiété à cause de la négociation que nous devons faire de nos données existentielles (finitude, solitude, liberté, culpabilité, corporéité). L’anxiété est aussi cette appréhension polyvalente qui engendre tous les symptômes de fuite des autres, d’isolement et des autres misères de notre vie tout autant qu’elle suscite le développement de l’amour, de la liberté, du désir et de bien d’autres caractéristiques de notre humanité. La personne humaine est la seule créature consciente de son être et consciente aussi qu’à tout moment, elle peut le perdre.
La personne est toujours aux prises avec l’anxiété soit d’aller vers le devant en devenant de plus en plus un individu, soit de reculer, de régresser et de perdre son individualité . L’homme primitif a profité de son anxiété devant les animaux et les événements destructeurs pour développer son intelligence, sa capacité de penser et son habilité à utiliser des symboles et à créer des outils, des armes pour étendre sa protection. De là son anxiété pour lui fut créatrice.
« La santé mentale n’est pas de vivre sans anxiété. » Espérer pouvoir vivre sans anxiété surtout de nos jours de remises en question, de quête de sens et même de danger de terrorisme est illogique et absurde. C’est une mauvaise interprétation de la réalité. La plus grande conscience contemporaine de nos identités est aussi source d’anxiété. Plus que jamais nous avons à nous individualiser et nous sommes vraiment seul pour le faire. Personne ne peut nous remplacer pour devenir ce que nous sommes comme individu. Toutes ces situations sont anxiogènes. Nos prises de position sont prégnantes pour la suite de notre vie et en même temps, sources d’anxiété.
Si nous ne pouvons pas éliminer toute anxiété, nous pouvons toutefois la réduire à un niveau acceptable et ensuite s’en servir pour élargir chacun sa conscience et sa vigilance, pour chacun aussi se donner du goût de vivre et chercher à être bien dans sa peau. L’anxiété est comme la fièvre du corps; elle indique qu’il y a un conflit en quelque part en nous qui demande à être résolu ou au moins atténué et que la bataille pour être et devenir ce que l’on est continue. Si le combat cesse et l’organisme se défait, alors l’anxiété disparaît mais la personne s’est perdue en quelque part, l’identité s’est évaporée.
L’anxiété est donc nourrissante de la condition humaine du zest de vivre. Rollo May (1977) raconte : « Je me souviens que je ressentais toujours de l’anxiété avant de donner une conférence devant certains types d’auditoire même si je connaissais parfaitement mon sujet. Fatigué d’endurer cette anxiété (ce trac), par force de volonté, je me suis conditionné à confronter et faire disparaître cette anxiété. Je suis vraiment devenu moins anxieux et même relaxe mais mon discours est devenu malheureusement monotone et ennuyant. Il manquait la tension, le sens du défi, le zest du cheval de course à la clôture au départ. » L’anxiété normale (à l’intérieur de ses limites) s’exprime aussi par ces tensions, par un sens du défi et un zest de continuer à vivre. Toute fièvre est bienvenue si elle nous fait réaliser la fragilité de notre organisme et si elle nous engage à nous donner la meilleure santé possible. De la même façon toute anxiété qui peut se transformer en zest de vivre est bienvenue.
La recherche d’une conversion en zest de vivre de l’anxiété n’est pas qu’une qualité bien souhaitable mais elle fait partie des responsabilités de tous ceux qui sont conscients de leur vitalité et de leur soin pour les autres.
Mettre de l’ordre entre tous ces différents concepts et représentations de l’anxiété et du goût de vivre, faciliter le passage de celle-là à celui-ci constitue l’objectif de notre travail. L’ordre permet à la vie de continuer parce qu’en faisant de l’ordre nous nous débarrassons de l’inutile qui entrave notre démarche. Mettre un peu plus la lumière de l’ordre sur le phénomène de l’anxiété permet à la personne de continuer à vivre, de vivre mieux et de vivre bien dans sa peau.
Jules Bureau, Psychologue et Sexologue
Rawdon, Québec, Canada
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