Alors qu'Obama
remportait l'élection présidentielle américaine, nous finissions Storytelling de Christian Salmon. Vertigineuse coïncidence. Nous reviendrons sur les limites flagrantes de cet essai,
mais de prime abord, il met le doigt sur un phénomène qui vient de s'exprimer de manière éclatante aux Etats-Unis. C'est en effet une caractéristique moderne que d'avoir remplacé, dans le
marketing d'abord, puis en politique et jusque dans la conduite de la guerre, l'exposé des faits par un "nouvel ordre narratif". Et au diable les "reality-based people", les malheureux attachés à
l'analyse, au raisonnement, au faits, comme les nomment pour les dénigrer les politiciens américains. Ce qui compte, c'est la story, cette "arme de distraction massive".
Or c'est bien à une opération de "distraction massive" que viennent de se livrer les medias français, emboîtant le pas à leurs confrères américains. Ne discutons
pas ici de la qualité de "l'histoire" d'Obama, ni de ses qualités personnelles qui sont certainement indéniables. Mais l'histoire qui nous est racontée est celle d'une "révolution américaine"
(comme titrait Le Monde), au nom du fait qu'un métis accède à la présidence de la première puissance mondiale. Que cela démontre que l'Amérique a bien changé depuis les lois
ségrégationnistes est incontestable. Mais Obama veut-il et peut-il changer l'Amérique? Non.
Prenez le discours qu'il a prononcé suite à sa victoire : une suite de petites histoires symboliques, puisant dans les mânes de la American Story, et puis,
... le concret : l'annonce de la nécessité de "sacrifices" et de l'union nationale avec Mc Cain et son parti républicain!
Quel est le programme d'Obama? Les Storytellers l'oublient. Arrêter la guerre? Nenni : Obama veut l'intensifier en Afghanistan, l'étendre au Pakistan. La
couverture santé? Son plan prévoit de faciliter le recours aux compagnies privées. Au demeurant, il est entouré de partisans de Clinton qui restera dans l'histoire comme celui qui détruisit
l'essentiel du Welfare State aux Etats-Unis. Cherchons une raison à sa victoire, celle des démocrates : ce parti, contrairement au républicains, a voté majoritairement pour le plan Paulson de
sauvetage des banques lors de son premier passage au Congrès.
Et le reste? Du vide consensuel, religieux en diable. Obama a raconté une belle histoire aux américains, et il est devenu aujourd'hui l'enseigne marketing du
produit USA. Que cette histoire ait pris, c'est certain, quoiqu'avec des limites : la participation "record" s'est élevée à 66%, Obama a donc recueilli 35% des suffrages du corps électoral
américain. Cela relativise significativement les envolées lyriques sur "l'élan populaire".
Nous n'ignorons pas l'évènement social que représente l'accession d'un candidat de couleur dans le pays qui fut celui de la ségrégation. Mais nous n'ignorons pas
non plus que la première femme à accéder au pouvoir dans un pays européen majeur fut ... Margaret Thatcher. Qu'est-ce qui comptait le plus? Son genre, ou sa politique?