La critique
Geirr (Fridtjov Saheim) était un mec normal, amoureux de sa femme et menant une vie sans tracas. Puis il y a eu cet accident de la route qui l’a privé de l’utilisation de ses deux jambes. Dans son fauteuil roulant, Geirr broie désormais constamment du noir et ne communique plus avec sa femme, si ce n’est pour la gratifier de paroles blessantes. Cette dernière, prête à tout pour conserver leur amour, a décidé de faire entrer dans sa maison un groupe d’handicapés coaché par une connaissance à elle. La coach véhicule avec un inégalable entrain l’art de la pensée positive. Ou comment accepter son «sort » d’handicapé tout en s’épanouissant. Ses méthodes sont souvent naives et clichées et les membres de son groupe apparaissent comme légèrement lobotomisés. Leur arrivée dans la maison de Geirr ne va pas se faire sans heurts : notre ami va tout faire pour les pousser hors de chez lui. Mais progressivement, plutôt que de totalement se replier sur lui-même, Geirr va répandre son art de la pensée négative. Les langues vont ainsi se délier et laisser place à une certaine cruauté aux vertus inattendues…
Budget un peu fauché pour film au grand capital sympathie, voilà comment l’on pourrait résumer L’art de la pensée négative, premier long métrage écrit et réalisé par Bärd Breien. Rapidement, le réalisateur nous enferme dans la maison de Geirr et va se servir de son huis clos pour faire monter la tension à son paroxysme. Oubliés les discours rassurants et condescendants sur les handicapés prônés par la coach, Geirr n’a pas peur de crier qu’être un handicapé c’est la galère et que ça nous prive de choses essentielles. Comment peut-il garder intact sa relation avec sa femme alors qu’il sait que son handicap l’empêche de faire l’amour ? Comment se sentir attractif physiquement quand on est dans un fauteuil roulant ? Dans notre société du paraître, la situation des handicapés s’annonce donc assez cauchemardesque.
La méthode de la coach qui vise à les faire accepter leur handicap et à leur faire penser que tout est rose et rien n’est grave n’est qu’un terrible voile, un mensonge, une hypocrisie. Geirr , de manière très outrancière, va tout faire pour montrer à ses nouveaux camarades qu’ils vivent dans une illusion, qu’ils refoulent ce qu’ils ressentent vraiment. La peur d’être abandonné par l’être aimé, de ne plus jamais pouvoir être normal, de ne plus trouver de sens dans son existence et devoir dépendre continuellement des autres…Les plaies s’ouvrent avec une spontanéité assez inattendue qui place le spectateur dans un état de gêne puis de réelle connivence avec les protagonistes. Si j’avais quelques réserves à formuler sur la « coolitude ambiante » du projet, je dois avouer qu’il est bien difficile de ne pas s’attacher à cette petite bande de laissés pour compte emprunts d’un mal être considérable. Traitant le sujet de l’handicap avec culot et humour, L’art de la pensée négative se révèle être un film profond et juste qui trotte pas mal dans la tête après la projection. Le droit d’assumer sa différence, d’affronter ce qui ne va pas, de rester réaliste, d’être tout simplement humain avec les hauts et les bas de l’existence : voilà un film qui devrait trouver un écho chez beaucoup de spectateurs.
Sortie du film le 26 novembre 2008