A l’initiative de la boîte de production de Lars Von Trier, des films pour femmes tentent de faire leur place au milieu de l’industrie du X. Un pari osé? Entretien avec Nicolas Barbano, chargé de création d’Innocent Pictures.
Chez Puzzy Power on en a marre des scénarios pour hétéros basiques. Le sexe n’est pas qu’une histoire de triples pénétrations anales. Désormais les fantasmes féminins trouveront leur place dans les scènes les plus hard. C’est ce que promet en 1997 le «Puzzy Power Manifesto», sorte de «Dogma» pour la branche X de Zentropa. Ce manifeste dicte un certain nombre de règles concernant le contenu d’un film porno que les réalisateurs de «Puzzy Power» s’engagent à respecter: un scénario crédible, pas de scène de sexe gratuit mais une montée subtile du désir, pas de violence à moins que ce soit pour assouvir un fantasme féminin, pas de fellation forcée ou encore d’éjaculation faciale. De ces bonnes résolutions naissent «Constance» en 1998, puis «Pink Prison» en 1999 et «HotMen CoolBoys» en 2000. Les critiques de l’époque voient dans ce nouveau concept une révolution dans le monde du porno.
A-t-il un avenir au milieu de l’industrie très mâle du porno? La maison de production a certes passé par quelques changements d’identités, s’appelant d’abord Puzzy Power, puis Sextropa et désormais Innocent Pictures, et est également devenue indépendante de la société de Lars von Trier, Zentopia. Il n’empêche, la philosophie semble toujours identique. D’ailleurs Innocent Pictures sortira en 2004 son dernier opus dans ce créneau, «All about Anna», réalisé par Jessica Nilson et cofinancé par Erotic-Media, une société suisse.
Nicolas Barbano, le producteur exécutif et chargé de création d’Innocent Pictures, n’est pas un novice dans l’industrie du sexe. A l’origine d’une base de donnée sur les films pour adultes nommée «Barbano Mondo», il a publié une biographie sur les 25 pornstars les plus chaudes du monde (The World’s 25 Hottest Adult Stars). Nous lui avons demandé en quoi un film porno fait par une femme pour des femmes différait de l’industrie standard…
«All about Anna», le dernier film que vous avez produit, respecte les règles du «Puzzy Power Manifesto». Pensez-vous qu’une femme qui réalise un porno donne au film une sensibilité plus proche de la sexualité féminine?
Je ne pense pas que les femmes soient systématiquement plus capables de réaliser des films érotiques qui respectent leur sensibilité. Chaque fois que l’on produit un film porno, on est tout de suite suspecté de vouloir uniquement gagner de l’argent. Le fait que ce soit une femme qui réalise nous donne plus de crédibilité, surtout lorsque l’on désire créer des films qui s’adressent spécialement aux femmes. Dans le cas de «All about Anna» ce sont deux femmes qui ont écrit le scénario (Anya Aims & Loretta Lowinski). Elles ont tout d’abord décrit très librement ce qu’elles aimaient, haïssaient ou ce qui manquait dans les pornos traditionnels tout en ne voulant pas tomber dans le romantisme ou le sentimentalisme. Au résultat, je pense qu’elles ont vraiment bien réussi à toucher la sensibilité féminine.
Croyez-vous que les films d’Innocent Pictures respectant le «Puzzy Power Manifesto» plaisent plus aux femmes que les pornos traditionnels?
Définitivement oui. Ce sont des femmes qui ont créé le «Puzzy Power Manifesto». Elles ont elles-mêmes décidé de ce qui plaisait ou non aux femmes. Donc je pense que nos films satisfont les fantasmes féminins.
Dans Pink Prison certaines scènes de sexe semblent gratuites, les hommes ont un physique bodybuildé qui rappelle les films pornos caricaturaux et la fellation occupe une grande place. Est-ce vraiment des fantasmes féminins?
C’est une femme, Lisbeth Lynghoet, qui a réalisé ce film. J’imagine qu’elle savait ce qui plaît aux autres femmes. En ce qui concerne les mecs bodybuildés vous devez sans doute parler de Marc Duran, un acteur au physique très imposant. Nous avons hésité à le reprendre pour «All about Anna» de peur, justement, de tomber dans la caricature pornographique. Cependant il est tellement doux est crédible en tant qu’acteur! Dans sa vraie vie, il est guide de montagne! C’est la différence entre son physique de monstre et son visage candide qui nous a séduit. Pour en revenir à «Pink Prison», j’admets que ce n’est pas la meilleure production d’Innocent Picture. Lisbeth Lynghoet elle-même regrette son choix pour l’actrice Katja Kean dans le rôle principal. De plus il fut réalisé en seulement un mois alors que six mois ont été nécessaires pour le tournage de «All about Anna».
Vos films s’adressent-ils à ceux qui regardent déjà des pornos traditionnels ou cherchez-vous à gagner un nouveau public?
«All about Anna» plaira à un public qui n’aime pas les films pornographiques. Notre but est de remplir le fossé qui sépare le cinéma X du traditionnel. Dans ce dernier film, tous les acteurs sont des acteurs «normaux». L’unique actrice porno est Ovidie. Elle ne tourne qu’une seule scène avec l’actrice principale. Et je crois que c’est la plus belle partie du film!
Innocent Pictures a également produit un porno gay, «HotMen CoolBoys». Pensez-vous en produire un qui s’adresserait à un public lesbien?
Pour moi, «Pink Prison» est secrètement un film lesbien. La réalisatrice est elle-même lesbienne et je crois que le message l’est aussi. L’histoire d’une femme qui débarque dans une prison exclusivement masculine dans le but ultime de rencontrer le gouverneur qui s’avère être une femme! Cela ressemble à un rite initiatique vers la sexualité lesbienne. Pour en revenir à «HotMen CoolBoys», je tiens à dire que c’est pour l’instant la meilleure production d’Innocent Picture. Le réalisateur, Knud Vesterskov, est un génie!
Avez-vous de nouveaux projets?
Nous allons produire prochainement un film inspiré de l’air de Rigoletto «La donna e mobile» (Verdi). Le scénario raconte l’histoire d’un couple marié que la routine commence à détruire. Il sera sauvé par une mystérieuse femme prénommée Diana.
Les films d’Innocent Picture sont distribués par Colmax.
On peut les commander au 021 869 98 33, chez Media Diffusion, Romanel-sur-Morges.
Géraldine Torchio
novembre 2003
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