Stéphan Beaucher, consultant Océans pour Greenpeace France, nous raconte les premiers jours de la réunion annuelle internationale pour la Conservation des Thonidés (ICCAT)
“Après Dubrovnik en 2006 et Antalya l’an dernier c’est à Marrakech qu’est revenu l’honneur d’accueillir la session de cette année (et le plaisir d’empocher le magot que déposent près de 400 délégués en une semaine). Drôle d’idée de parler thon 10 heures par jour pendant 8 jours à 200 kilomètres de la mer…
C’est un peu comme si les maires des stations de sports d’hiver tenaient leur congrès annuel au Vanuatu…
À ceux qui attendent beaucoup de cette seizième session annuelle, les propos du ministre de l’agriculture marocain sont là pour rappeler l’ampleur du chemin qui reste à parcourir. Dans son discours de bienvenue, il a défini l’objectif de ces 8 jours de tractations : “Mettre les pêcheries thonières de Méditerranée à l’abri des incertitudes”. Ah bon ! Il ne s’agissait que de cela ? Et nous qui pensions qu’il s’agissait de sauver le thon rouge et par là même une partie de la pêcherie (mais une partie seulement, nul n’étant tenu à l’impossible).
Heureusement qu’à Paris, nos activistes (un grand merci à eux et aux bénévoles qui depuis près de trois ans ne lâchent pas sur la question du thon rouge dans leurs interventions sur le terrain) sont allés rappeler à Monsieur BARNIER que nous n’étions pas là pour participer à un consensus mou autour d’objectifs aussi peu ambitieux que ceux exprimés par son homologue marocain mais pour obtenir une fermeture de la pêcherie.
Après les exercices formels (accueil, remerciements divers et adoption de l’ordre du jour) ce fut rapidement pour nous l’heure de notre conférence de presse. Pas un journaliste français, espagnol ou italien. Pas de doutes, unanimement la presse de ces trois pays fait preuve du même enthousiasme quand il s’agit de regarder en face la responsabilité que portent Madrid, Paris et Rome dans ce dossier.
Retour en session pour le premier gros morceau et grand moment de la semaine : la présentation du rapport d’audit de fonctionnement de l’ICCAT. Conformément à leur réglementation, les Organisations Régionales de Gestion des Pêches doivent régulièrement évaluer leurs performances. Pour l’ICCAT, cela tombait cette année ; Dommage… En septembre dernier, trois experts extérieurs ont remis un rapport au vitriol qui constitue une véritable “raclée” administrée à cette noble institution. Pour situer le ton, on y trouvait des expressions comme “honte internationale”. En conclusion, les experts, constatant l’incompétence de l’ICCAT à enrayer le déclin du thon rouge demandaient ni plus ni moins qu’une fermeture de la pêcherie ! Non pas pour de quelconques raisons environnementales, mais parce que l’ICCAT ne remplissait pas sa mission.
Comment allaient donc réagir les représentants des 46 délégations à la présentation de ce rapport accusateur? Allait on protester, récuser les experts, chicaner sur les chiffres ou encore adopter un profil bas ? Eh bien non! Nous avons eu droit à du grand art. Tous ont remercié les auteurs, se sont félicité de cette analyse critique de la situation, se sont auto-flagellé en une gigantesque séance de masochisme collectif. Tous ont dit que ce rapport constituait un “carrefour”, un “point de départ pour une nouvelle ICCAT”, un délégué (un peu plus lyrique ou fatigué que les autres) a même parlé d’un “tournant dans l’histoire”. Bref tout ce petit monde partait vers “business as usual” et voulait faire le dos rond dans un premier temps et tout reconduire à l’identique par la suite.
Nous sommes une petite douzaine à représenter les ONG : GP, Oceana, Pew Foundation et WWF : nous ne serons pas de trop pour secouer tout ce monde et le sortir de sa torpeur en lui rappelant à toute occasion que c’est ni plus ni moins l’arrêt de mort du thon rouge de Méditerranée qu’ils pourraient signer cette année sous le chaud soleil du Maroc.
Ce premier jour était la journée des vœux pieux et des intentions pures. C’est ainsi que la délégation japonaise a présenté une déclaration qui apriori a tout pour séduire. Il y est question de l’urgence, de la menace d’un classement CITES (qui interdirait toute exportation de thon rouge) présenté comme inévitable. Nous fera-t-elle le coup de Dubrovnik? En 2006 elle jurait ses grands dieux que le pays du soleil levant n’importerait pas plus de 15 000 tonnes, juré craché ! On a vu par la suite ce qu’il est advenu de cette promesse…
Stéphan