Frédéric Ciriez est un auteur bien dans sa tête et dans ses mots. Avec « Des néons sous la mer », son premier livre de fiction, il joue avec les formes littéraires, à travers l’univers d’un bordel situé dans la baie de Paimpol. Fascinant. La critique est sous le charme.
Loufoque Frédéric Ciriez ? Farfelu, assurément. L’histoire de son premier roman est belle, sa génèse tout autant. « L’idée première était de faire un faux document scientifique sur la prostitution », confie-t-il. Les mots ont entraîné les mots et l’auteur a finalement mis en scène un sous-marin de la Marine nationale échoué dans la baie de Paimpol, le Fascinant, reconverti en maison close par douze prostituées pleines d’allant et rebaptisé Olaimp, « anagramme bancale de Paimpol ». Beau VestiaireC’est un certain Beau Vestiaire qui a envoyé le manuscrit « Des néons sous la mer » aux éditions Verticales, en 2007. La réponse, positive, lui a été signifiée en seulement quinze jours ! Mais, derrière ce pseudonyme se cache un homme attachant, né à Paimpol il y a 37 ans, Frédéric Ciriez, qui a toujours été sensible à la littérature, travaillant en tant que chroniqueur littéraire sur internet, à Paris. « Ma période d’adolescence est viscéralement liée à la cité des Islandais », raconte-t-il.
« Rock’n’roll ! Mais, à chacun son Paimpol. J’avais envie d’écrire quelque chose qui prenne corps et cadre dans la région. Ça m’a rassuré. Mon père était administrateur des affaires maritimes et mon grand-père, fusilier marin. Chez nous, c’est beau ! ». Beau Vestiaire, c’est aussi le nom du narrateur, si touchant, qui fait écho au dandysme du plus célèbre des « Beau », George Bryan Brummel, arbitre britannique de la mode. La fonction esthétique prédomine dans le roman de Frédéric Ciriez. Il transporte le lecteur dans un futur proche où la prostitution a été légalisée depuis 2011. Le Paimpolais joue efficacement avec les styles et les genres. « Le sujet du livre est un bordel ; le livre est un bordel de formes et de significations. Chacun entre et navigue comme il veut à l’intérieur : on peut lire le livre comme un carnet ethnographique imaginaire, un roman noir, et par moments, comme une tentative de poésie lyrique ». L’écriture est tonique, poétique et on plonge dans ce lupanar, peinard, avec joie.
Hommage émouvant à Patrick DewaereFrédéric souligne que son roman, paru le 25 août aux éditions Verticales (3.000 exemplaires et 2.000 en retirage), n’est pas un manifeste pro-bordel. Livre vitaminé et mélancolique, il y a la scène du sous-marin, « à l’extérieur un phallus géant, à l’intérieur un grand vagin » et une autre d’un bout du littoral exploré à moto, de Paimpol au Légué, en baie de Saint-Brieuc. Avec, notamment, un hommage émouvant à Patrick Dewaere, « Briochin d’origine et acteur magnifique du film Série noire, d’Alain Corneau ». Des renvois de notes, des anecdotes sorties de l’imagination de l’auteur, intriguent. « Le plus grand bordel du monde, c’est le langage. Mon bordel, qui multiplie les formes narratives, est un bordel de langage ».
Les prix ? Rien à Ciriez !Le livre « Des néons sous la mer » plaît, encensé par la critique : Le Monde, Libération et un article de Philippe Lançon, L’Humanité, mais aussi Le Temps, quotidien suisse et un passage sur la RTBF (Belgique). « J’étais étonné d’avoir autant de presse pour un premier livre, relativement bizarre dans sa forme ». L’imaginaire du sujet fait mouche et le chroniqueur bien chroniqué est en lice pour de nombreux prix, dont celui du Premier roman, décerné demain, et le Wepler, attribué lundi prochain. Mais Frédéric Ciriez ne court pas après les éloges ou les « titres ». « Je n’ai jamais cherché à me faire connaître. Je ne me considère pas comme un écrivain, tout ça parce que j’ai publié un livre. Je le dis sans fausse modestie. Écrire a toujours été mon espace, mon étrangeté. Je suis davantage un amateur de langage. Une œuvre littéraire est un objet de jouissance ».
François Le FurLe Télégramme